Je ne pen­sais pas avoir du plai­sir à sup­pli­cier, démem­brer, écar­te­ler, réduire en miet­tes un inno­cent meu­ble de cui­sine.

Inno­cent ? Que nenni ! Il y a quel­ques années, lors d’une opé­ra­tion des­ti­née à tailler la place pour une pla­que de cuis­son, ledit meu­ble avait osé se défen­dre. Ma main déra­pant, il infli­gea à mon poi­gnet senes­tre une entaille appa­rem­ment légère bien que san­gui­no­lente, mais qui encore aujourd’hui est appa­rente. J’ai une cica­trice. Heu­reu­se­ment on me ques­tionne rare­ment des­sus :

« Tu t’es battu ? Tu as eu un acci­dent ?
- Non, mon meu­ble s’est défendu quand j’ai voulu l’ampu­ter. »

Or en ce moment, le pro­jet de l’année appro­che de sa phase ter­mi­nale : nous réno­vons toute la cui­sine, la nou­velle va arri­ver, il faut faire place. Ces meu­bles bran­lants bon mar­ché légués par les anciens pro­prié­tai­res ayant mérité une bonne retrait la déchet­te­rie, il a fallu les démon­ter pour faci­li­ter ren­dre pos­si­ble le trans­port.

Et ce meu­ble qui m’avait blessé, j’ai pris plai­sir, de mes mains nues, à lui arra­cher les por­tes, mas­sa­crer les pla­ques, et à le balan­cer, par­tie par par­tie, dans le jar­din, préa­la­ble au char­ge­ment pour son der­nier voyage dans l’ano­nyme fosse col­lec­tive des meu­bles à la déchet­te­rie.

Pour­tant je ne suis pas un mec vio­lent, ni ran­cu­nier.