Dans le monde de l’informatique, et des SSII en particulier, un « consultant » est souvent un terme pompeux pour de l’intérim de luxe. Cet intérim peut durer des mois voire des années, sur le site du client, avec des outils (poste, logiciels) fournis par ledit client. C’est le mode régie, un extrême.

L’autre extrême est le consultant-papillon qui court d’un site à une agence, d’un client à l’autre. Plus souvent que son homologue sédentaire, il possède donc un ordinateur portable. J’ai déjà parlé de ce portable lourd et encombrant. Ce n’est que son piège le plus apparent.

Chez le client

À l’arrivée sur le site du client, le consultant migrant doit marquer son territoire se trouver une place.

Le client lui octroie parfois volontiers un coin de table et une chaise qui traîne par là (car personne n’en veut) ; parfois il l’exile dans une salle aveugle où un salarié normal refuse d’aller ; parfois le consultant enquête chaque matin pour savoir quel salarié est en RTT et squatter son poste. Le consultant en mission niche fréquemment dans les salles de réunion. Il y croise d’ailleurs parfois des salariés de l’entreprise qui ont un statut de migrant et ne sont pas mieux lotis, et bien sûr d’autres mercenaires consultants collègues et concurrents.

En se débrouillant, le consultant parvient à tirer jusqu’à son poste un câble réseau (placé selon les meilleures méthodes de braconnage afin que le premier venu se prenne les pieds dedans et emmène le PC à terre avec lui). Le wifi, non, n’est pas une solution fréquemment pratiquée : cela impliquerait de fournir à beaucoup trop de monde les clés d’accès au réseau sans fil.

Le consultant voyage volontiers en meute petit groupe, et bien sûr, il n’est venu à personne à l’idée que N consultants nécessitent N sièges et coins de table, mais aussi N prises électriques et N prises réseau. Le bricolage à base de multiprises et l’« emprunt » de hubs et switchs est une nécessité (les salariés du client connaissent également souvent ce jeu).

« Chez soi »

Ces problèmes logistiques ne se déroulent pas que dans un « contexte client ». En agence, « chez lui » donc, le consultant doit encore plus se battre. Chacun de ses collègues est dans la même situation, à chercher prises réseau et électrique.

De plus, une agence est dimensionnée pour abriter les administratifs, la hiérarchie, et le moins possible de pions consultants de base : s’il n’est pas chez le client, le consultant est en intercontrat et n’a donc rien à faire. Pas de chance, les projets actuels tendent vers l’externalisation jusqu’à l’absurde, la régie est démodée, et travailler à distance pour un client depuis son agence se rencontre de plus en plus fréquemment. Les locaux ne suivent pas toujours, et les capacités en débit Internet non plus. La solution pourrait s’appeler « télétravail », mais le concept parvient difficilement à atteindre le sommet de la hiérarchie.

Autres raisons du sous-équipement des agences : le matériel coûte cher (même s’il est loué en grande partie, il y a aussi la maintenance), surtout quand l’obsession est le résultat trimestriel ; les gains de productivité attendus d’écrans géants ou de sièges ergonomiques pour les développeurs ne sont pas engrangés par la SSII mais par le client ; une bonne part des consultants a son portable donc inutile d’investir en agence, etc.

La sociabilisation

L’esprit de corps dépend fortement des capacités sociales de chacun, du nombre de missions, de leurs durées, de l’éloignement des clients, du turn over dans l’entreprise, mais le consultant-papillon a tendance à connaître relativement peu de monde parmi ses collègues, et souvent très superficiellement. Le problème est récurrent dans toutes les SSII, dont la plupart ont du mal à créer une réelle culture commune (surtout dans l’actuelle ambiance productiviste à outrance).

Un passage en agence revient donc à croiser surtout des assistantes, qui constituent un des rares points fixes de la vie, et avec qui il n’est ni désagréable ni inutile de nouer des relations cordiales, ou bien des « chefs », qu’il faudra en général ménager ou éviter (il y en a des bons, aussi). On croise de plus en plus de gens « en fixe » travaillant à demeure en agence, encore faut-il avoir eu l’occasion de les connaître. De plus, le cliché veut que l’informaticien de base ne soit pas le plus spontanément sociable des êtres, et rassembler des gens dans une même salle d’intercontrat sans projet commun ne suffit pas pour souder une équipe.

La cantine

La nourriture est une activité capitale, et le consultant-papillon peut avoir accès à la cantine de son client... avec souvent le « droit d’entrée » à payer en plus du repas, pour qu’il ne profite pas indûment des tarifs subventionnés par le comité d’entreprise (soit environ 4 €). Les tickets restaurant ne sont pas acceptés, et si par malheur le consultant-papillon est trop près de son agence pour ne pouvoir faire passer le repas en frais de déplacement, c’est pour sa pomme. (Conséquence : il est plus économique de manger à l’extérieur avec les tickets restaurants, tant pis pour le client si le repas dure deux heures et non trente minutes). (Mise à jour de novembre 2007) Coup de bol, le client qui offre la cantine au sous-traitant qui vient dans ses locaux existe aussi, je peux en témoigner.

Tragique est le cas du consultant en régie très loin de chez lui, condamné au restaurant midi et soir pendant des mois d’affilée. Sans discipline de fer, la sanction pondérale est sévère. Ajoutons la joie d’annoncer à sa moitié délaissée que le week-end, on aimerait bien rester à la diète.

Partie 1 : Angoisse existentielle
Partie 2 : Plein plein de chefs
Partie 3 : Le portable
Partie 4 : Le consultant-migrant
Partie 5 : Se battre pour bosser
Partie 6 : Les joies de l’accès à distance
Partie 7 : Un expert, sisi !
Partie 8 : Imputer, oui, mais sur quoi ?