Robert Hare, un psychologue canadien, fait le lien entre les psychopathes et certains chefs d’entreprise.

Résumé-traduction-paraphrase :

Rappelons que les psychopathes sont, en gros, le 1% de la population constitué de gens que leur conscience et leur manque total d’empathie et de remords rendent dangereux : menteurs sans complexes, manipulateurs, ils portent souvent un masque qui masque leur nature et aiment le pouvoir. Les psychopathes ne sont pas tous violents, surtout les moins atteints.

Le lien avec certains patrons qui ne s’intéressent qu’à leur intérêt (soit-disante shareholder value) sans aucun remord quant aux dégâts, par exemple ceux d’Enron, est évident. D’où une question : ne peut-on les repérer ? Les Américains aiment soumettre à des tests de nombreuses catégories professionnelles : pourquoi pas un test pour repérer les psychopathes aux postes de responsabilité ?

Les entreprises sont-elles des monstres psychopathes, où pouvoir et contrôle sur les autres attirent ce genre de population ? Est-ce une conséquence de la vénération des chefs charismatiques qu’on ne juge qu’aux résultats, sélectionnant ainsi ceux totalement insensibles au sort des autres ?

En effet, les psychopathes d’entreprise sont à l’aise dans le chaos de restructurations, fusions, acquisitions... du monde moderne, tout comme une guerre ou une période politiquement troublée révèle les plus dangereux d’entre eux (Milosevic, Karadzic...). Le monde de la « nouvelle économie », bien différent des structures figées de grandes entreprises, attire le psychopathe avide de sensations fortes.

Comment les reconnaître ? Hare a mis un test au point. Il recherche certaines caractéristiques : haute estime de soi, égoïsme, hypocrisie, mensonge pathologique, manipulation, manque de remords et d’empathie, refus de reconnaître ses torts.
L’enfance des psychopathes d’entreprise (ou successful pyschopaths) a plutôt été dorée ; ils sont peu « instables » ou « socialement déviants ». (Ces derniers, si ce sont des psychopathes, versent plus souvent dans la violence que dans la « comptabilité créative ». )

Ces traits ont été retrouvés dans nombre de chefs d’entreprise connus, d’Henry Ford aux patrons d’Enron, ou dans Al Dunlap : celui-ci a viré des milliers de personnes sans réel besoin, manipulé des comptes, et par-dessus le marché osé demander une prime de licenciement (accessoirement il n’est pas allé à l’enterrement de ses parents, et a perdu un divorce pour « cruauté extrême »).
Beaucoup d’autres, moins spectaculaires et plus mesurés, restent inconnus. Nous en connaissons tous probablement un (Rappelez-vous : 1% de la population. Ça fait du monde...).

Face à un monstre de ce genre, la plupart des gens tombent dans le piège en supposant que son interlocuteur se soucie un tant soit peu des sentiments des autres. Au contraire, il joue là-dessus et mime la loyauté et l’amitié. Le commun des mortels a du mal à réaliser à quel point un psychopathe est différent.

Attention, ne pas confondre le psychopathe avec une autre espèce moins dangereuse qui fleurit dans les hiérarchies : le narcissique, qui transforme parfois son défaut en atout (Steve Jobs, Jack Welch, Andy Grove, Bill Gates... - rien que ça !), et dont le but, même égoïste, est plus « noble » (changer le monde, quel que soit l’avis des autres) et en tout cas n’est pas de manipuler et torturer autrui. Couplé avec un « obsédé de la productivité » (Steve Ballmer...), le narcissique peut faire merveille.

Le psychopathe se rencontre peu dans les fondateurs d’entreprise, car ce milieu convient mal à un parasite qui mise sur le court-terme ; il ne s’intéresse pas à l’entreprise - au contraire du narcissique qui s’y identifie et y est loyal.

Pour s’en préserver, les tests d’embauche sont un début, mais la vraie réponse est une culture d’ouverture et de confiance, surtout dans les périodes de changements. Les lois sur le harcèlement sont un outil, mais, plus que les Européens, les Américains sont handicapés par leur culture individualiste. Les Asiatiques sont moins touchés, de par leur culture du consensus (Remarque personnelle : Mao est un gros contre-exemple...) : la création d’un psychopathe est à moitié culturelle...

Fin du résumé-traduction.

Pour finir, j’ajouterai deux remarques :

  • Une, que je tiens de je ne sais où, notamment dans le contexte des détournements de fonds et des délits d’initiés : des gens assez intelligents pour gérer des entreprises gigantesques le seront aussi assez pour contourner tout moyen destiné à les garder, eux, sous contrôle. Ceux au sommet ont donc une forte chance de « se sucrer » quel que soit le système. (Question de proportion aussi, certains aux bas échelons sont des champions de l’optimisation des notes de frais.)
  • D’autre part, l’empathie chute avec l’éloignement : si je suis un chef d’entreprise, j’aurai du mal à virer des gens avec lesquels je travaille ; si je suis l’actionnaire qui papillonne entre plusieurs entreprises sans côtoyer grand monde, moins ; si je suis le petit porteur qui a placé son argent là où il rapportait 0,1% de plus, je n’aurai aucun scrupule, surtout que mon action sera totalement indirecte.

Et pas besoin de chercher des tendances psychopathes dans ces deux phénomènes.