La recherche de la version originale n’est pas toujours une sinécure. Je peux facilement « rétro-traduire » quelques mots clés d’une version française d’une boutade d’Oscar Wilde ou d’une réflexion de Goethe (domaine public), les soumettre à Google, et espérer trouver la version originale, à recouper bien sûr. Pour du Umberto Eco ou du Borges (plus récents), je dois me rabattre sur le livre.

Anglais, allemand, polonais...

Encore ces auteurs écrivent-ils dans une langue que je peux espérer lire : je parle anglais et allemand, et je peux espérer me retrouver dans un texte en une langue latine ou germanique, car je sais ce que je cherche et je compare avec la version française. Les traducteurs en ligne existent également pour ces langues courantes.
C’est plus délicat mais encore faisable avec les langues slaves, dont le vocabulaire de base m’est totalement étranger, par exemple celle-ci, dont il ne faut pas me demander à froid dans quelle langue elle est[1] :

”Nie lubię wymiany poglądów. Zawsze na tym tracę.”[2]
(Je n’aime pas les échanges d’idées - je suis toujours perdant !)[3]

Antoni Słonimski

Pour le japonais, l’arabe, le chinois, le grec ancien ou pas... je suis condamné à rechercher un locuteur et à lui faire confiance. Se posent ensuite d’intéressants problèmes techniques[4].

Quand on ne sait même pas la langue

Certains auteurs un peu cosmopolites posent problème : il se sont exprimés dans plusieurs langues. Pour Kundera (qui a écrit en albanais tchèque comme en français), la question se règle en cherchant la mention du traducteur sur la page de garde du livre ou dans le catalogue.
Pour Einstein (citoyen suisse, puis allemand, puis américain), la question est plus délicate. Avec de la chance on peut espérer faire remonter une citation à un de ses ouvrages, mais on double l’espace de recherche. Quant à Catherine II de Russie, allemande francophone russifiée...

Quand la VO n’existe pas

Un cas gênant est l’auteur qui s’exprime dans sa langue face à des journalistes qui traduisent en français ; la version originale est à jamais inaccessible, comme ici :

« Mais en 1897 - et en 1947 pas davantage -, aucun écrivain de SF ne nous a montré cette désolation que nous avons nous-même créée. Nous étions trop occupés par les invasions extraterrestres et les attaques nucléaires, ces fausses apocalypses, pour voir que les promoteurs et leurs bulldozers dévastaient le monde qui nous entoure. »

Dan Simmons, conférence aux Galaxiales de Nancy, 1997

Encore ce cas ne comprend-il qu’une seule traduction vers la langue « principale » de mon site. Si je lis dans le Spiegel (magazine allemand) une interview exclusive de Woody Allen (anglophone), que dois-je ajouter sur mon site ? La version allemande (qui n’est pas originale) suivie de ma traduction en français ? Uniquement ma traduction ?

Quelle version de la langue ?

Je classe également dans les problèmes de traduction la transposition du vieux français. La langue s’est à peu près figée après 1700, mais Molière pose quelques problèmes d’orthographe, et il faut littéralement traduire Tristan et Iseult (XIIè siècle). Voici un bon exemple de ce qui est à la limite de la compréhension[5] :

« Si avons nous beau monter sur des eschasses, car sur des eschasses encores faut-il marcher de nos jambes. Et au plus eslevé throne du monde, si ne sommes nous assis, que sus nostre cul. »

Montaigne, Essais, III, XIII

Le problème est plus épineux dans l’autre sens. J’ai rencontré, je ne sais plus où, cette manifestation du désespoir du chef de guerre écrasé par l’adversaire :

« Ouvrez, ouvrez, châtelain, c’est l’infortuné roi de France ! »

Philippe VI de Valois, après le désastre de Crécy (26 août 1346), selon Froissart

Les œuvres de l’écrivain et historien[6] Froissart sont disponibles sur Gallica, mais sous forme de simples images, même pour les versions éditées et dactylographiées des siècles plus tard. Quand bien même le texte serait numérisé, je ne saurai même pas comment traduire en français du XIVè siècle la version moderne ci-dessus pour la rechercher. Lire quelques pages des chroniques de Froissart dans le texte est formateur mais très long et pénible, la langue a trop évolué depuis.
Encore une recherche qui attendra ma retraite, les progrès de Google dans l’indexation généralisée du savoir humain, ou (coup de bol) la rencontre avec un médiéviste.

Erreurs de traduction

Il faut se méfier aussi des citations trop belles qui ont pu être déformées, notamment lors d’une traduction. Celle-ci est un exemple mineur (la citation originelle a gardé son intêrêt mais je préfère la mauvaise traduction française) :

“In politics the choice is constantly between two evils.”
(« En politique il faut toujours choisir entre deux maux. »
Version française courante : « La politique est un domaine où il faut constamment choisir entre deux gaffes. » )

John Morley

Je vais faire des recherches sur l’exemple suivant, et je prie pour que ce soi-disant proverbe chinois soit authentique :

« Le cerisier qui fleurit en hiver est un imbécile. »

Proverbe chinois ?

Enfin, signalons un dernier problème quand on part d’une citation étrangère : la traduction n’est pas forcément de la tarte. Un personnage comme Churchill prenait plaisir à utiliser chaque nuance de l’anglais, et mon dictionnaire déclare parfois forfait. Quant à Shakespeare qui joint la richesse d’un vocabulaire parfois exclusif à une langue vieille de plusieurs siècles, je ne tenterais même pas... (Encore lui a-t-il été traduit intégralement.)

Notes

[1] Après réflexion, ce serait bien du polonais, ce que confirme Wikiquote.

[2] On notera qu’ici se pose également le problème de savoir sous quelle forme se mettent les guillemets : à la française, à l’allemande, à l’anglaise ? Non, en polonais comme chez les Scandinaves, c’est encore différent...

[3] On remarquera que pour cette langue, je laisse une traduction que je ne fais pas pour les pensées en anglais ou allemand, participant ainsi de fait à l’impérialisme anglo-saxon...

[4] Comme de voir si je peux facilement convertir la page web en UTF-8. Ça devrait passer sur le Mac...

[5] Dans le sens où déchiffrer réclame un réel effort.

[6] Plus écrivain qu’historien, disent certains.