L’après-guerre

  • En 1943 et 1944 commence, toujours en strips quotidiens, une nouvelle double aventure de Tintin : les Sept Boules de Cristal et le Temple du Soleil. Là encore l’histoire est apolitique et intemporelle.

    Cependant, à la libération de Bruxelles en septembre 1944 la parution du Soir et donc celle des Sept boules de cristal est interrompue. Comme beaucoup de journalistes en activité pendant l’Occupation, donc a priori suspects de collaboration, Hergé ne peut plus écrire dans les journaux, et en est réduit à retravailler ses anciens albums (les versions actuelles des premiers albums datent de cette époque). Casterman demande en effet qu’ils soient tous standardisés à 64 pages - conséquence peut-être des restrictions de papier.

    Ce n’est qu’en 1946 que l’aventure reprend à peu près là où Hergé avait dû l’abandonner. Les conditions sont incomparablement meilleures : là où Hergé devait se contenter de strips en noir et blanc dans le quotidien (ce qui est malgré tout très formateur pour la narration), il a à présent à sa disposition deux pages couleur à l’italienne, dans son propre journal, le Journal de Tintin !

    Le Temple du Soleil se déroule encore une fois dans un pays exotique, mais les recherches d’Hergé et de ses collaborateurs (il ne travaille plus seul) poussent le soin du détail très loin. L’album est très réaliste. La seule fausse note est cette éclipse de soleil qui n’aurait jamais fait peur aux Incas. Rappelons qu’à cette époque, la seule documentation accessible sur les pays lointains réside à la bibliothèque ou au cinéma !
  • Tintin au pays de l’Or noir est achevé en 1950. C’est l’album à l’histoire la plus tordue, avec trois versions.

    Cette aventure, rappelons-le, avait commencé en septembre 1939, quand la Seconde Guerre Mondiale éclatait. Les premières pages de l’histoire ne parlent d’ailleurs que de menaces de guerre, bien que ce soit là à cause du pétrole. La puissance belliciste à la base des problèmes d’explosion des moteurs n’est jamais nommée, mais il est transparent pour les lecteurs de l’époque qu’il s’agit de l’Allemagne.

    La parution dans le Petit Vingtième est ralentie par des ennuis de santé puis la mobilisation d’Hergé. Puis l’aventure est brutalement interrompue par l’occupation de la Belgique par les nazis. Vu le sujet anti-allemand de l’Or noir, Hergé préfère commencer une nouvelle aventure (Le Crabe aux Pinces d’Or) dans le Soir, sur un sujet nettement plus « neutre ».

    L’Or noir est redessiné et repris de zéro après guerre et la conclusion dans le Journal de Tintin du Temple du Soleil. Dans cette version comme dans celle de 1940, Tintin débarque en Palestine, toujours sous mandat britannique, et se trouve piégé dans les conflits entre les Britanniques, activistes sionistes (l’Irgoun faisait dans le terrorisme à l’époque), et les Arabes. Israël ne devient indépendant qu’en 1948, au moment où Hergé reprend l’histoire.

    Cet écart de dix ans entre début et conclusion finale explique aussi une bizarrerie : l’intervention d’Haddock à la fin de l’histoire, totalement imprévue, inexplicable et explicitement inexpliquée. Haddock, en 1940, n’existait tout simplement pas ! Ni Tournesol ni Moulinsart évoqués dans les dernières pages, d’ailleurs. Par contre, les risques de guerre imminente évoqués au début de l’album deviennent assez irréels, et la chanson « Boum, quand vot’ moteur fait boum » copiée sur Trénet, devient alors démodée.

    La troisième version de l’histoire date de 1971, aussi sur demande de l’éditeur anglais qui avait déjà demandé une modification de l’Île noire. La Palestine est remplacée par l’imaginaire Khemed ; Britanniques et Juifs disparaissent et la politique se réduit à l’affrontement entre les deux émirs pour le pouvoir au Khemed, sans que l’histoire en souffre. Plus intemporelle et nettement plus simple à comprendre que l’imbroglio palestinien d’avant 1948, cette version plait aussi davantage à Hergé.

    En 1950 sont également fondés les Studios Hergé, où le créateur de Tintin rassemble tous ses collaborateurs et industrialise en quelque sorte sa création. Beaucoup de beau linge de la BD belge y est passé : E.P. Jacobs (Blake et Mortimer), Roger Leloup (Yoko Tsuno), Jacques Martin (Alix), Bob de Moor...

À suivre...