La Pologne, le pacte germano-soviétique, le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale

Un épisode assez peu connu rapporté par Brissaud porte sur le déclenchement de la campagne de Pologne.

Hitler prend la décision d’invasion fin mai 1939, après que le gouvernement polonais a refusé ses exigences (annexion de Dantzig, corridor vers la Prusse orientale...). Hitler ne pense pas que la partie se joue aussi pacifiquement que pour le démembrement de la Tchécoslovaquie, mais veut éviter que France et Angleterre n’interviennent. Canaris et ses amis déploient tout leur talent auprès des lieutenants d’Hitler (Keitel en tête) pour leur démontrer que leurs alliés (notamment l’Italie) ne suivront pas si facilement, et que la guerre prendra vite mauvais tournure. Mais ils ne sont pas écoutés, et la conclusion du Pacte germano-soviétique élimine le spectre d’une guerre sur deux fronts... Hitler a bien joué.

La « provocation » polonaise montée de toute pièces par les nazis est connue : de faux soldats polonais simulent une attaque contre un avant-poste allemand. Canaris comprend trop tard pourquoi on lui a demandé les cent cinquante uniformes nécessaires.

L’ordre d’attaque primitif date du 26 août. Hitler le lance alors même qu’Anglais et Français le menacent dans les formes d’une déclaration de guerre. Les armées se mettent en branle quand tombe le contre-ordre : le Duce a averti Hitler que l’Italie n’est pas prête et n’entrerait pas en guerre contre la France et l’Angleterre.

Les anti-nazis de l’Abwehr, Canaris le premier, exultent : en annulant l’attaque au dernier moment, Hitler vient de se déconsidérer ! Les militaires engagés, de Keitel aux simples soldats, sont effectivement furieux.[1]

Le 31 août, Hitler attaque finalement la Pologne. La Seconde Guerre Mondiale commence le lendemain sous les yeux d’un Canaris effondré.

Hitler ne veut pas seulement rabaisser la Pologne, ni même la conquérir, mais la rayer complètement de la carte des nations. Cela commence par liquider son élite. Heydrich envoie ses Einsatzgruppen dans le sillage de la Wehrmacht pour assassiner systématiquement aristocrates, intellectuels, Juifs... Le régime ne fait évidemment pas de publicité à ces crimes, mais Canaris en entend parler. Ses protestations auprès de Keitel, et sur la responsabilité qui rejaillit sur la Wehrmacht si elle laisse faire, sont vaines (« Ces mesures sont décidées par le Führer. »). Les généraux de la Wehrmacht maugréent, sans que cela émeuve Hitler.

D’autres passages expliquent comment les Alliés étaient prévenus par avance de chaque attaque allemande. En partie par leurs services, bien sûr, mais aussi par des fuites délibérées de gens de l’Abwehr — sans que Canaris ne se livre en personne à ce genre de haute trahison. Des Tchèques ont fui Prague pour Londres à temps ; Oster avertit son contact néerlandais de l’attaque sur la Scandinavie quelques jours auparavant ; le même transmet aux Alliés l’attaque contre la France, la Belgique et les Pays-Bas, etc.

Canaris compte souvent ainsi montrer à Hitler que l’attaque est attendue et donc vouée à l’échec. Ce sera effectivement systématiquement un échec — pour lui. Soit les pays agressés ne peuvent rien faire (il est trop tard), soit ils croient à une intoxication de l’Abwehr (grosse erreur de Gamelin !).

L’attaque contre l’URSS

Canaris sait que, comme Napoléon, Hitler commet une erreur monstrueuse en s’en prenant à la Russie sans en avoir fini préalablement avec l’Angleterre. Il est également au courant depuis août 1940 des projets d’invasion, en observant les mouvements de troupe.

Selon Brissaud, Hitler a beaucoup hésité. Il en serait arrivé à la conclusion que l’Angleterre tomberait quand elle n’aurait plus à espérer l’aide des Russes (les Américains sont trop loin). Et attaquer Gibraltar sans l’accord de Franco, c’est la guérilla assurée. Hitler au moins ne commettra pas cette erreur-là de Napoléon.

Hitler aurait été aussi moins confiant que ses propres généraux sur le temps nécessaire pour détruire l’Armée Rouge — sans imaginer bien sûr l’issue désastreuse.

Brissaud rapporte que les Anglais étaient au courant de Barbarossa avant bien des chefs nazis, et que Churchill avait averti Staline. Lequel n’en tint pas compte. Cela cadre avec ce que Canaris pense de Staline : l’attaque de juin 1941 est une surprise totale pour le dictateur communiste. Le petit amiral ne croit pas non plus à une victoire rapide des Allemands (et cette fois il a raison), et il prévoit correctement que les Japonais, surpris par l’attaque, ne s’y joindront pas, ce qui sauve probablement la Russie.

Pendant l’invasion, Canaris tente en vain de réveiller les généraux de la Wehrmacht, suite aux ordres sur le traitement des prisonniers de guerre russes. Il tente de démontrer que cela est contre-productif (mise à dos des populations, représailles sur les prisonniers allemands...). Mais les SS mènent le jeu, et dénoncer les abus est suspect...

À suivre...

Notes

[1] Une idée d’uchronie : le contre-ordre arrive trop tard à certaines unités, les Polonais attaquent, et le début de l’invasion allemande tourne au chaos. Je ne pense pas que cela ait changé grand-chose au résultat final de l’affrontement panzers vs. cavalerie polonaise.