Mars la Blanche
de Brian Aldiss
avec Roger Penrose
Une « Mars blanche » est une Mars laissée à elle-même, non colonisée par l’homme, non polluée, juste parcourue par quelques scientifiques ; c’est le statut actuel de l’Antarctique. C’est un des thèmes sous-jacents de l’histoire, mais pas le principal.
Utopie
Le sous-titre évoque une « utopie martienne », et c’est sa construction qui est la base de l’histoire. Quelques milliers de personnes sont bloquées sur Mars suite à l’effondrement de la multinationale chargée de la colonisation, et survivent (relativement confortablement) en tentant de créer une société plus parfaite.
Les problèmes matériels de cette micro-société isolée (approvisionnement...) sont apparemment délibérément mis de côté, à peine évoqués. Plus intéressante est la manière dont leur civilisation s’organise.
On parle ouvertement d’utopie, donc je me demande si les points suivants, qui ont sabordé la crédibilité de l’histoire pour moi, sont délibérés : le « chef » de la colonie, qui lance les idées liées à l’utopie, n’est guère contesté ; les débats (pendant des pages, ce qui n’est pas un mal) sont assez dirigés ; les opposants sont souvent caricaturaux (et passent très vite à la violence) ; les diagnostics sur les raisons des problèmes de la Terre rappellent furieusement notre époque (et pas 2060) ; certaines des solutions sont des bonnes intentions et rappellent parfois les « yaka/fokon » de gamins de 15 ans naïfs ; la manière dont les problèmes de la société sont corrigés est assez floue (à part améliorer l’éducation des enfants (vaste débat...), et la disparition de l’argent).
Évidemment, tout est beaucoup plus facile dans une société de fait communiste, égalitaire, faite de gens tous éduqués aimant débattre, avec un minimum de confort, sans les charges de la civilisation qui leur a donné ce confort, et sans interaction avec icelle. Je suis peut-être trop terre-à-terre ou mauvais esprit pour goûter correctement une utopie.
Le côté scientifique à l’inverse est souvent massif, et je pense que certains sauteront le long passage sur les taches de bosons de Higgs que l’accélérateur martien doit découvrir. Les liens entre conscience et mécanique quantique (théorie de Penrose), ou les affirmations sur la nature de la vie sur Mars, sont plus affirmés que démontrés ou expliqués.
D’un autre côté, une action assez lente, plus orientée sur les relations entre les personnages et sur leurs débats, tranche agréablement avec tous les récits sur la conquête de Mars à la manière américaine (versions hard science ou western).
Je suis resté sur ma fin après la dernière page. Les pires problèmes d’une société utopique arrivent quand la population augmente et quand elle perd son isolement. Le livre ne va pas jusque là.
Terraformation
Dès le début, et dans la conclusion, Aldiss affiche ouvertement son hostilité aux projets de terraformation de Mars. Le livre ne sert son propos qu’en bottant en touche, en introduisant la seule chose qui pour moi l’interdirait sur le principe[1] : de la vie sur Mars. Vie sous une forme assez inattendue il est vrai (et très utopique elle aussi, avec le même flou sur la manière concrète dont elle est apparue, et surtout comment elle évolue à la fin du livre).
Par contre, si cela était raisonnablement réalisable, je vois mal pourquoi nous nous priverions d’une deuxième planète, ou d’une troisième (Vénus ?) ou d’autres (autour de Jupiter ?). Les cailloux mort et inhabités, bien que scientifiquement passionnants, sont innombrables dans cet univers. Le parallèle avec l’Antarctique est à mon avis injustifié, car il fait partie de l’histoire de la terre, contient sa mémoire dans ses glaces, et a son propre et fragile écosystème.
On peut ensuite entrer dans le débat si la conquête de l’espace se fera par celle des planètes ou par des systèmes autonomes vivant dans l’espace, par le cyberespace et/ou via des robots, et dériver vers le paradoxe de Fermi (thème que j’essaie de traiter ici).
Conclusion
Un livre un peu décevant, que j’ai failli lâcher après le premier quart, mais l’histoire devient plus concrète ensuite. Cependant, pour narrer de façon réaliste la conquête de Mars, terraformation comprise, la référence reste la trilogie martienne de Kim Stanley Robinson.
Google vous fournira d’autres critiques du livre, notamment celle-ci, plus favorable que la mienne.
Notes
[1] « Sur le principe », parce que l’on peut discuter longtemps du point de vue matériel ou financier, ou de l’utilité réelle d’une planète viable dans mille ans à cent millions de kilomètres. (Mise à jour : Sur le sujet, voir le billet Coloniser le désert de Gobi plutôt que Mars.)
7 réactions
1 De Jid - 09/12/2005, 16:20
et même encore, faut-il tomebr d'accord sur la définition de vie!
La civilisation ne s'est pas arrêtée aux indiens, aux inuits... elle ne va pas s'empêcher de terraformer pour ne pas trucider du lichen.
Ensuite forme de vie intelligente, c'est encore autre chose.
2 De Le blogmestre - 09/12/2005, 18:49
Oui, il vaudrait mieux qu'on trouve des bestioles ressemblant plus ou moins à des bactéries, que d'autres choses archi-simples à la limite de la définition de la vie (on doute trouver quelque chose d'aussi évolué que du lichen, alors la vie intelligente...).
Si Mars doit attiser l'avidité de colons intéressés, tout sera bon pour faire paraître cette vie comme inutile et dérisoire. Des organismes incontestablement vivants, fascinants à étudier, seraient tellement important à étudier qu'il serait hors de question de risquer leur existence.
Dans un sens, je préférerais qu'on ne trouve rien de vivant. J'aimerais bien voir le début de la terraformation de Mars, mais vue notre incapacité collective à faire des plans à TRÈS long terme, j'en doute. (Parce que Mars, ce ne sera pas rentable. J'ai du mal à voir une justification économique hors un grand plan de travaux publics de l'humanité toute entière. C'est le problème de la conquête spatiale de manière générale d'ailleurs).
3 De jid - 09/12/2005, 21:37
moi, effectivement je ne crois pas en la terraformation de planête, en revanche l'envoi de vaisseaux géants autarciques à force je pense que oui (remplis d'ailleurs d'émigrants forcés!!) ;-(
4 De Le blogmestre - 10/12/2005, 11:53
Des vaisseaux géants pour des proscrits, ça serait hors de prix. Comme moyen de déportation vers la Lune ? (cf "Révolte sur la Lune" d'Heinlein). Encore faudrait-il que les déserts terriens soient déjà pleins... Tu me diras que les Anglais ont déjà déporté du monde en Australie, et nous en Nouvelle-Calédonie, encore était-ce à une époque où le bout du monde était vraiment loin, les communications lentes, et le pays d'accueil "vivable".
5 De Jid - 12/12/2005, 12:41
justement ce sera possible moralement car hors de prix : la culpabilité collective de virer les indésirables sera camouflée par un sentiment de "on a mis le prix qu'il faut".
6 De nadia - 05/02/2006, 18:18
Non surtout pas, laissons mars tranquille, loin de notre pollution, de nos guerres, de notre bruit et de nos enjeux économiques et politiques. Laissons nos maux sur terre...
7 De Le webmestre - 05/02/2006, 19:10
Pour être franc, s'il n'y a pas de la vie là-bas, je ne vois pas pourquoi Mars échapperait à la conquête. Si sa colonisation ou son exploitation peut servir à l'humanité, il n'y a pas de sentimentalisme à avoir. C'est un caillou comme il en existe des milliards de milliards, pas un bijou écologique et une terre à préserver comme l'Antarctique. Quant à la notion de polluer un milieu totalement hostile à l'homme, je n'accroche pas.