Blog éclectique & sans sujet précis - Mot-clé - fantasy<p>Si ça me passe par la tête, si ça n’intéresse que moi, alors c’est peut-être ici. Ou pas.</p>2024-02-13T09:44:49+01:00L'éditeur est le propriétaire du domaineurn:md5:bf83720a7189bba489682d945b972671DotclearLégendes & lasagnes culturelles : « Le Cycle du Graal » de Jean Markaleurn:md5:d3d95b043f44be08b20f24788aeda4d32016-01-06T00:00:00+01:002016-06-12T13:26:00+02:00ChristopheTemps et transformationsAntiquitéchristianismechâteauxcivilisationCroisadesculturefantasyGrandes Invasionsguerre saintehistoirelivres luslyrismemagieMoyen ÂgemulticulturalismemythemèmemémoireMérovingiensperspectivequêterecyclagereligionsignifiésociétés primitivestempsthéologieémerveillementévolution <p><a href="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/images/livres/Jean_Markale_Le_Cycle_du_Graal_1.jpg" title="Jean_Markale_Le_Cycle_du_Graal_1.jpg"><img src="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/images/livres/.Jean_Markale_Le_Cycle_du_Graal_1_s.jpg" alt="Jean_Markale_Le_Cycle_du_Graal_1.jpg" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" /></a><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Markale">Jean Markale</a>, dans les années 90, a entrepris une réécriture dans un style moderne de <em>tout</em> le Cycle du Graal : au total deux pavés de mille pages dans mon édition incluant la Table Ronde, les vies d’Arthur & Merlin, Lancelot & Guenièvre, Yvain, Gauvain, Galaad, Bohort, Viviane, Morgane, Tristan & Yseult et j’en passe beaucoup.</p>
<p>Un travail titanesque donc, surtout qu’il ne s’agit pas d’une simple réactualisation du style d’une mythologie « achevée », mais aussi de l’arbitrage, la fusion, la synthèse, l’harmonisation de plusieurs versions dans différentes langues d’Europe de l’Ouest écrites et traduites sur plusieurs siècles dans différents contextes religieux et politiques, leur compilation, leur mise en cohérence.</p>
<p>L’ensemble se présente sous la forme d’une suite de nouvelles pleines de digressions, aux ambiances parfois très différentes, reliées de manière un peu lâches, malheureusement souvent répétitives (il y a <em>beaucoup</em> de jeunes filles à sauver d’un infâme méchant auquel le preux chevalier fera mordre rapidement la poussière). C’est parfois très primaire et binaire, sauf peut-être vers la fin.</p>
<p><a href="http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8527589h/f13.item" title="La Table Ronde, de « Messire Lancelot du Lac » de Gautier Moap, 1470, Gallica via Wikimedia"><img src="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/images/histoire/.Table_ronde_Messire_Lancelot_du_Lac_de_Gautier_Moap_1470_Gallica_Wikimedia_Commons_Domaine_public_m.jpg" alt="Table_ronde_Messire_Lancelot_du_Lac_de_Gautier_Moap_1470_Gallica_Wikimedia_Commons_Domaine_public.jpg" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" /></a></p>
<h3>Un gros patchwork culturel</h3>
<p>Il ne semble pas que les universitaires aient beaucoup porté Markale dans leur cœur donc on prendra ses interprétations avec des pincettes, mais il reste malgré tout clair que le Cycle du Graal agrège :</p>
<ul>
<li>des histoires issues de la mythologie celte, parfois si anciennes que l’on peut parler de chamanisme (notamment lors des transformation d’humains en animaux) ;</li>
</ul>
<ul>
<li>des légendes celtes, bretonnes, armoricaines, galloises, irlandaises, souvent pré-chrétiennes, agrégées au mythe parfois brutalement ;</li>
</ul>
<ul>
<li>une version historiquement peu correcte de l’invasion romaine et des Empereurs à l’époque de l’arrivée du Graal en Bretagne ;</li>
</ul>
<ul>
<li>des personnages historiques réels des alentours des années 475-500 : <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Roi_Arthur">Arthur</a> aurait été un chef de guerre celto-romain, ou une synthèse de plusieurs chefs ayant effectivement combattu les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'Angleterre_anglo-saxonne">Saxons lors des Grandes Invasions</a>, et des allusions montrent qu’il n’était pas très respectueux des biens de l’Église de l’époque ; <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Merlin">Merlin</a> aurait pu être un chef de tribu un peu plus tardif ; le poète <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Taliesin">Taliesin</a> ; le roi <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Urien">Urien</a> et son fils devenu le chevalier <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Owain_mab_Urien">Yvain</a> ; voire <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fraimbault_de_Lassay">Lancelot / Saint Fraimbault</a> ;</li>
</ul>
<ul>
<li>des histoires n’ayant pas forcément de liens avec le Graal à l’original ;</li>
</ul>
<ul>
<li>un vernis chrétien parfois très fin recouvrant à peine le fantastique celtique, parfois transposant des divinités celtiques en preux chevaliers (Lug / Lancelot) ou en magiciennes (Morgane), déplaçant l’Autre Monde celtique dans des royaumes imaginaires, ou transformant la quête du Graal originelle (sordide vengeance ? guérison d’une blessure du Roi Pêcheur dans ses parties sexuelles ?) en apologie de l’Eucharistie ;</li>
</ul>
<ul>
<li>des réinterprétations médiévales du passé : Virgile passait pour un prophète ou un magicien ;</li>
</ul>
<ul>
<li>des ajouts par des moines choqués par l’immoralité de ces chevaliers querelleurs, parfois pillards ou lubriques : Perceval/Peredur puant trop la mythologie païenne, il est remplacé par Lancelot comme nouveau roi du Graal ; mais Lancelot, ayant cocufié Arthur avec Guenièvre, ne pouvait décemment pas être le Bon Chevalier gardien du Graal, il a donc fallu inventer son fils Galaad, personnage transparent et fade, arrivé comme un cheveu sur la soupe et très vite débarqué ; les autres amants de Guenièvre ont été (mal) gommés, et les femmes globalement rabaissées ; tout est fait pour rendre les amours interdites inévitables <em>malgré</em> les personnages (filtre d’amour pour Tristan & Yseult, substitution de femme pour Lancelot et Brisane/Elaine) et l’on montre qu’elles mènent à la catastrophe : la guerre finale vient de l’adultère de Lancelot & Guenièvre enfin révélé ;</li>
</ul>
<p><a href="http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b2200046b/f3/" title="Chrétien de Troyes, Gravure de 1530, BNF"><img src="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/images/histoire/.Chrétien_de_Troyes_Gravure_1530_BNF_Domaine_public_s.jpg" alt="Chrétien_de_Troyes_Gravure_1530_BNF_Domaine_public.jpg" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" /></a></p>
<ul>
<li>des réécritures à la mode de l’amour courtois par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Chr%C3%A9tien_de_Troyes">Chrétien de Troyes</a> ou <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_de_Boron">Robert de Boron</a>, au top des <em>playlists</em> des trouvères et troubadours du XIIè siècle (en plein renouveau médiéval, à l’apogée de la féodalité et au plus fort des Croisades), et par bien d’autres dans tout l’Occident chrétien (Italie, Allemagne, Angleterre des Plantagenêts, cour d’Aquitaine...), qui ont lié, remixé à divers degrés et inséré au chausse-pied beaucoup d’histoires existantes, à commencer par Lancelot, et connecté le Graal et Jésus ;</li>
</ul>
<ul>
<li>des éléments typiques de la société médiévale telle que clercs et nobles l’idéalisaient : code de l’honneur chevaleresque, amour courtois, vassalité bien ordonnée, ignorance et mépris des vilains, assimilation des beautés physiques et morales, quelques mentions antisémites, un prosélytisme chrétien <em>très</em> agressif ;</li>
</ul>
<ul>
<li>des échos des remous de la société de l’époque, comme des piques envers les chevaliers pilleurs, ou une allusion de Chrétien de Troyes à l’exploitation des ouvrières dans le textile en Champagne (plus d’un demi-millénaire avant Marx) ; des relents de l’affrontement de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Bouvines">Bouvines</a> entre Philippe Auguste et l’Empereur allemand ; des traces de besoins d’affirmation du pouvoir des Plantagenêt (les versions de leur époque affirment qu’Arthur est bien mort, inutile d’attendre son retour d’Avalon).</li>
</ul>
<h3>De quoi/qui parle-t-on en fait ?</h3>
<p>Ajoutons des confusions entre personnages : Arthur fait un enfant à sa sœur, mais est-ce Morgane ou Anne ? Perceval s'est vu dépouillé par Lancelot de bien des histoires. Combien de personnages, fées, sorcières, déesses différentes Morgane agrège-t-elle elle-même ? Et Viviane/Mélusine ? Et ne parlons pas de Merlin ! Markale a pas mal arbitré pour nommer les personnages.</p>
<p>Il y a même un mystère sur le concept même du Graal : chaudron ou corne d’abondance celtique pré-chrétienne, récipient du sang du Christ, vengeance, guérison symbolique, quête mystique de soi-même, tout cela à la fois ? Jean Markale a tranché pour la version chrétienne mais mentionne les autres interprétations.</p>
<h3>Le Moyen Âge n’était pas une période rose</h3>
<p>Certains traits médiévaux agacent. On fait peu de cas de la vie humaine. Les chevaliers s’entretuent à la moindre provocation, et le vainqueur épouse la femme du perdant trucidé (Uther Pendragon & Ygerne). Un sens de l’honneur disproportionné mène à des guerres fratricides et bien des morts inutiles. Les jeunes filles sont toutes les plus belles que l’on peut imaginer, à part une poignée de sorcières hideuses, dont la moitié se retransforment en magnifiques jeunes filles quand le jeune homme est chevaleresque.</p>
<p>En matière de religion, le niveau d’ouverture d’esprit approche celui de Daesh : qui ne se convertit pas est passé au fil de l'épée. Ces preux ne doutent pas un instant de l’aide de Dieu.</p>
<p>La misogynie règne : ces dames s’enflamment toutes pour un rien, parfois sans avoir vu le valeureux chevalier, n’ont d’yeux que pour les guerriers vainqueurs, sont hautement capricieuses (revers de la médaille de l’amour courtois) et ont souvent la cuisse légère. On sent que l’idéal de virginité avant le mariage et de monogamie n’est pas encore bien établi, et en tout cas allègrement ignoré par beaucoup. D’un autre côté, des personnages aussi exceptionnels ne peuvent avoir été conçus que de manière exceptionnelle, voire interdite : Merlin est fils d’un diable et d’une pieuse mortelle ; Arthur nait d’un adultère ; son fils maudit Mordret naîtra d’un inceste (dans les anciennes versions il n’ont pourtant aucune parenté.)</p>
<p><a href="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/images/livres/Jean_Markale_Le_Cycle_du_Graal_2.jpg" title="Jean_Markale_Le_Cycle_du_Graal_2.jpg"><img src="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/images/livres/.Jean_Markale_Le_Cycle_du_Graal_2_s.jpg" alt="Jean_Markale_Le_Cycle_du_Graal_2.jpg" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" /></a></p>
<h3>En creusant un peu</h3>
<p>Les anciennes coutumes celtes surnagent et surprennent : le Graal n’est chrétien et médiéval que superficiellement.</p>
<p>Le couple Arthur/Merlin reprend la dualité roi/druide. Le roi n’est pas le moteur, juste le premier de pairs, et n’est pas le moteur de grand-chose dans toute la quête. Par tradition, il doit accorder presque à n’importe qui des « dons » sans savoir auparavant de quoi il retourne, d’où bien des dilemmes.</p>
<p>On répand des joncs pour accueillir les invités (normal pour des Celtes, mais le Moyen-Âge utilisait déjà les chaises). Les moines cisterciens ont laissé passer quelques allusions à des liens ouvertement homosexuels entre preux chevaliers (à la manière de la Grèce antique). Les références aux nuits de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Nuit_de_Walpurgis">Walpurgis</a> ou <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Samain_%28mythologie%29">Samain</a> abondent.</p>
<p>Les filiations celtiques sont plutôt matrilinéaires, il est donc normal que le neveu d’Arthur, Gauvain, soit son héritier. Les enfants sont confiés à d’autres familles pour être élevés. À la mode celtique, Lancelot ou Galaad ont été élevés par des femmes : chez la Dame du Lac pour le premier, chez des religieuses pour le second, plus tardif. On découvre que les femmes de l’époque se décoloraient déjà les cheveux en blond.</p>
<p>Quant aux mentions topographiques ou architecturales comme la forme des forteresses, elles remontent plus à l’Antiquité qu’à l’apogée du Moyen Âge.</p>
<p>Bref, un gros pavé pas très digeste, bien représentative de l’évolution culturelle occidentale, qui plaira aux fanas d’histoire.</p>
<p>Pour finir, <a href="http://boutdubois.blogspot.fr/2014/07/jean-markale.html">une interview de l’auteur</a></p>https://www.coindeweb.net/blogsanssujetprecis/index.php?post/Le-Cycle-du-Graal-de-Jean-Markale#comment-formhttps://www.coindeweb.net/blogsanssujetprecis/index.php?feed/atom/comments/801“The Liveship Traders” (« Les Aventuriers de la mer ») de Robin Hobburn:md5:17faba5c7e53637891bf1633e040b6502013-01-14T22:19:00+01:002016-03-18T12:49:48+01:00ChristopheSur mes étagères alourdiesaddictionamourargentcatastrophecourageesclavagefantasygigantismelibertélivres lusmagiepsychologieténacitéémerveillement <p><a href="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/images/livres/LiveshipTraders-ShipofMagic-UK.jpg" title="LiveshipTraders-ShipofMagic-UK.jpg"><img src="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/images/livres/.LiveshipTraders-ShipofMagic-UK_s.jpg" alt="LiveshipTraders-ShipofMagic-UK.jpg" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" title="LiveshipTraders-ShipofMagic-UK.jpg" /></a></p>
<p>Il y a un bout de temps déjà, j’avais lu et encensé ici l’<em><a href="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/index.php?post/The-Farseer-Trilogy-de-Robin-Hobb">Assassin royal</a></em> (<em>The Farseer Trilogy</em>), mythique et délicieusement longue trilogie de <em>fantasy</em> <em>light</em> de Robin Hobb. La trilogie des <em><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Aventuriers_de_la_mer">Aventuriers de la Mer</a></em> (<em>Ship Of Magic</em>, <em>The Mad Ship</em>, <em>Ship Of Destiny</em>) n’est pas la suite, mais se situe quelques années plus tard dans un autre pays du même monde.</p>
<p>Bingtown, gros port des <em>Cursed shores</em> (rivages maudits), est devenu prospère grâce au commerce et (c’est lourdement asséné) la volonté, le courage et le travail des ancêtres des marchands (<em>Traders</em>), opulente oligarchie commerçante. Le <em>summum</em> pour une de ces familles : posséder un bateau vivant (<em>liveship</em>, « vivenef » en français). La provenance et la nature du bois magique dont sont construits ces navires est un des ressorts principaux de l’histoire. Liés à une famille, nourris des souvenirs des trois générations de capitaine morts sur leur pont avant leur éveil, ces bateaux ne peuvent être volés... théoriquement. De plus, certains deviennent fous.</p>
<p>L’histoire tourne autour des Vestritts, famille de marchands dont le capitaine-patriarche décède : le bateau, <em>Vivacia</em>, s’éveille alors. La famille se déchire aussitôt entre Althéa, fille cadette du défunt et très attachée (sentimentalement et télépathiquement) au navire, et son beau-frère Kyle, manipulateur brutal peu enclin à laisser leur mot à dire aux femmes. Cette tête de mule d’Althéa claque la porte, Kyle l’emporte, décide que son fils Wintrow doit quitter ses études dans son cher monastère, et transforme le bateau en transport d’esclaves : il n’y a économiquement pas le choix.</p>
<p>Car l’économie détermine les choix de bien des personnages : la montée de l’esclavage ; l’arrivée de nouveaux marchands étrangers dans la ville ; les dettes des Vestritts envers les constructeurs du <em>Vivacia</em> ; leur rôle dans le mariage de la petite dernière ; les liens avec la capitale impériale ; l’influence sur les équilibres politiques dans Bingtown ; les esclaves enfuis obligés de devenir pirates... Tout cela ne peut être éludé.</p>
<p><a href="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/images/livres/LiveShip-ShipofDestiny-UK.jpg" title="LiveShip-ShipofDestiny-UK.jpg"><img src="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/images/livres/.LiveShip-ShipofDestiny-UK_s.jpg" alt="LiveShip-ShipofDestiny-UK.jpg" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" title="LiveShip-ShipofDestiny-UK.jpg" /></a></p>
<p>Pendant ce temps, un flibustier, le capitaine Kennit, rêve de devenir roi des Îles Pirates, inextricable archipel de hors-la-loi, anciens esclaves et flibustiers. Et justement il a besoin d’un <em>liveship</em>...</p>
<p>Si Althéa se rapproche du Fitz de l’<em>Assassin royal</em>, qui s’en prend plein la gueule à cause de ses erreurs autant que de ses ennemis, et grandit par ses renoncements et cicatrices ; si sa nièce Malta, petite peste inconsciente au départ, évolue de manière foudroyante bien que là aussi douloureuse ; si Wintrow vaut le détour par ses interrogations existentielles permanentes ; si la grand-mère Ronica joue le rôle du chêne indéracinable ; si le Satrape est délicieusement haïssable d’autosuffisance ; le plus fascinant reste cependant Kennit, capitaine ténébreux à la chance insolente, héros des esclaves libérés, idéalisé voire divinisé, au passé torturé et mystérieux, et surtout aux qualités de psychopathe délicieusement manipulateur.</p>
<p>Je n’ai pu m’empêcher de faire le parallèle en permanence avec l’<em>Assassin royal</em>. Les <em>Liveships</em> le dépassent en partie grâce à la narration plus complexe, les différents fils qui s’entrecroisent, le changement fréquent de point de vue — une manière pour Hobb d’en rajouter dans les quiproquos et les incompréhensions, elle adore ça.</p>
<p>La magie, introduite progressivement dans l’<em>Assassin</em>, joue ici un rôle d’emblée. Mais comme on est très loin du <em>Seigneur des Anneaux</em>, ça passe pour un cartésien comme moi. Ce monde est juste régi par quelques lois supplémentaires par rapport au nôtre.</p>
<p><a href="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/images/livres/LiveShipTraders-MadShip-UK.jpg" title="LiveShipTraders-MadShip-UK.jpg"><img src="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/images/livres/.LiveShipTraders-MadShip-UK_s.jpg" alt="LiveShipTraders-MadShip-UK.jpg" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" title="LiveShipTraders-MadShip-UK.jpg" /></a> Des thèmes sont communs aux deux trilogies, parlerais-je même de tics ? : les héros qui s’en prennent plein la gueule, au moral comme au physique ; la trahison ; la loyauté à un chef, à sa famille, à un ami ; l’amour inconditionnel ; les difficultés des relations hommes-femmes (il n’y a pas que les hommes à être à la ramasse cette fois) ; le renoncement ; le choix entre obligations et être aimé ; le rôle d’un capitaine ou d’un roi à qui l’on obéit aveuglément ; le poids sur les épaules d’icelui ; les psychopathes manipulateurs ; ceux (parfois les mêmes) qui accusent tous les autres des problèmes qu’ils se sont attirés ; les envahisseurs barbares sans pitié ; la ruine née de la division ; la fin d’un monde policé dans le feu et le sang ; le rôle des souvenirs dans la construction de l’identité ; leur « stockage » magique...</p>
<p>Mais aussi : l’égalité hommes-femmes (au sens socio-économique) ; les ravages de l’esclavage ; son influence économique désastreuse ; la construction d’une nation ; la légitimité pour en faire partie ; la reconstruction d’un monde détruit une fois écartées, convaincues ou soumises les mauvaises volontés ; la vie des marins, leur hiérarchie, leur solidarité ; le viol ; les règles du bon commerce ; la cruauté de la piraterie ; la pesanteur et l’utilité des conventions sociales ; la mécanique des foules en assemblée ; l'émergence de dictateurs dans les périodes troublées ; la réussite par la volonté ; l’enfer pavé de bonnes intentions ; le sens de la vie et de la liberté quand on est un bateau... ou un Seigneur des Trois Royaumes ; et j’en passe...</p>
<p>Et surtout, au contraire de beaucoup de bouquins de <em>fantasy</em>, on est aux antipodes des clichés sur la lutte du Bien contre le Mal ou de la Quête du Prince déchu contre le Prince des Ténèbres pour sauver le monde et restaurer un ordre féodal ancien : à la fois plus humble et plus difficile, l’aventure des Vestritts vise à trouver sa place dans un monde qui change de lois, à préserver ce qui peut l’être, à poser de nouvelles règles, à trouver de nouveaux alliés et partenaires, sans oublier de négocier ses petits privilèges, alors même qu’on n’a guère de cartes en main. De la négociation commerciale, quoi.</p>
<p>Les liens avec la première trilogie sont ténus : quelques mentions de la guerre décrite dans l’<em>Assassin</em>, et un personnage secondaire commun complètement métamorphosé, que je n’ai identifié que grâce à Wikipédia une fois la trilogie achevée.</p>
<p>La fin ? Peut-être un peu trop prévisible, surtout du côté des romances, sans assez de morts pour que ce soit réaliste. Surtout, l’épilogue frustre par sa rapidité. On n’était pourtant plus à quelques centaines de pages de plus pour dénouer tous les fils ou ouvrir de nouvelles perspectives.</p>
<p>À lire la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Aventuriers_de_la_mer">page sur la version française</a>, je ne suis pas sûr d’approuver les adaptations de noms. Peut-être qu’en anglais tout sonne simplement mieux, ou de manière plus cohérente, ou que la <em>fantasy</em> en français m’évoque trop Harry Potter ou Pratchett, bien plus humoristiques. Bref, si vous pouvez, lisez en version originale. Il n’y a que trois tomes après tout : en français il y en a neuf, et j’ai peur que l’histoire ne soit pas assez dense pour donner un intérêt à chaque tome séparément.</p>
<p>Tout ça n’est évidemment pas pour les enfants...</p>
<p>Parmi les critiques sur le net, souvent élogieuses, se détache par exemple <a href="https://requireshate.wordpress.com/2011/05/02/liveship-traders-trilogy-robin-hobb/" hreflang="en">celle-ci</a> (<strong>Mise à jour de 2014</strong> : tombée hors ligne), délicieuse rien que par ses vacheries et sa mauvaise foi admirative.</p>
<p>La trilogie suivante (<em>The Tawny Man</em>) attend déjà dans mon panier d’un libraire en ligne. (<strong>Décembre 2014</strong> : <a href="https://www.coindeweb.net/blogsanssujetprecis/index.php?post/The-Tawny-Man-de-Robin-Hobb">le compte-rendu est là</a>.)</p>
<p>Ah oui : comme dans l’<em>Assassin royal</em>, il y a des dragons. Et ils sont à baffer.</p>https://www.coindeweb.net/blogsanssujetprecis/index.php?post/The-Liveship-Traders-de-Robin-Hobb#comment-formhttps://www.coindeweb.net/blogsanssujetprecis/index.php?feed/atom/comments/725“The Farseer Trilogy” (« L’Assassin Royal ») de Robin Hobburn:md5:d5cd307b520d5e152ab5c73cd2d84e542010-10-16T16:53:00+02:002015-08-20T13:17:53+02:00ChristopheSur mes étagères alourdiesaddictioncouragedilemmefantasylivres lus<p><img src="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/images/livres/.Farseer-AssassinsApprentice-UK_m.jpg" alt="Farseer-AssassinsApprentice-UK.jpg" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" />Cette excellente et très connue trilogie de <em>fantasy</em> fut un plaisir à lire.</p> <p>Ce n’est pas une lecture très originale, le livre est archi-connu, c’est même un classique de la <em>fantasy</em>.</p>
<p>Ce genre d’histoire se déguste mieux en version originale, avec vocabulaire et noms d’origine. Les traductions françaises trouvées sur les résumés de Wikipédia me semblent comparativement assez pauvres (la critique est facile). (Et puis, si je peux la lire, je préfère toujours une VO.)</p>
<p>Le thème : Fitz est un bâtard royal, fils d’une rôturière et du prince héritier des Six Duchés (qui abdiquera vite pour le protéger). Il ne connaîtra aucun de ses parents. Élevé au château royal, il est très tôt formé au rôle traditionnel des bâtards : celui de tueur aux ordres de son roi, un simple outil de la lignée, juré à la lignée des Farseer. Le drame de Fitz sera de toujours faire passer ses envies (et ses amours) au second plan après sa fidélité à deux rois et à son devoir.</p>
<p>Il devient fatalement un jeune homme très solitaire, pas fichu de se débrouiller avec Molly, son amour d’enfance. Pendant ce temps déferlent sur les côtes des Duchés les pirates rouges (<em>Red Ships</em>) : les habitants des îles du nord se livraient déjà couramment à la piraterie, mais ils se mettent à présent à tout détruire sans raison, et à « forger » les habitants de villages conquis, c’est-à-dire les débarrasser de toute humanité, un sort pire que la mort. Le pouvoir royal a du mal à faire face, entre un vieux roi mourant, une dissension entre Duchés côtiers et intérieurs, et Royal (<em>Regal</em> en VO), troisième fils du roi tenant le rôle du machiavélique psychopathe de service, extrêmement jaloux de ses deux frères (de véritables héros bourrés de qualités, eux), et devenu très vite allergique à son neveu Fitz le Bâtard, dont il pourrira la vie à l’extrême sur les trois tomes.</p>
<p>C’est un monde médiéval-fantastique, mais assez éloigné de Tolkien. La magie, de plus en plus présente au fil des tomes, est réduite à quelques éléments : l’Art (<em>the Skill</em>), une sorte de télépathie et de prise de contrôle d’autrui, maîtrisée par la lignée royale, capacité dont a hérité Fitz, mais qu’il maîtrise mal et où il risque plus d’une fois de se perdre ; le Vif (<em>the Wit</em>), une capacité à communiquer avec les animaux, à se « lier » à eux, don qui est plutôt considéré comme une abomination mortelle — et dont Fitz a hérité aussi. Il y a aussi des dragons.</p>
<p><img src="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/images/livres/.Farseer-RoyalAssassin-UK_s.jpg" alt="Farseer-RoyalAssassin-UK.jpg" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" />L’histoire se développe lentement. Le premier tome, <em>Assassin’s Apprentice</em>, décrit l’enfance du Bâtard, ses premières missions (en fait, il assassine très peu, son rôle reste assez moral, pas de grandes angoisses sur « ai-je le droit de tuer untel ou untel quand le roi me le demande et que je sais que c’est mal »), ses problèmes de maîtrise de l’Art, son lien avec le prince héritier Vérité. Le deuxième tome, <em>Royal Assassin</em>, parle de la guerre (mal engagée) contre les pirates, et l’inexorable ascension de Royal, un véritable calvaire pour Fitz. Le troisième, <em>Assassin’s Quest</em>, s’étend sur sa recherche de Vérité, et d’autres personnages. Fitz n’a plus comme perspectives que de chercher une mort utile, de retrouver son roi parti dans les montagnes, et de se venger de l’immonde Royal. Le <em>happy end</em> de rigueur est très amer pour la plupart des personnages.</p>
<p>Les personnages secondaires abondent, un rien caricaturaux parfois même s’ils ont leurs failles et leur caractère bien décrit (les liens entre eux occupent de nombreuses pages, expliquant l’épaisseur des pavés) : Burrich le serviteur-fidèle qui élève Fitz ; Kettricken la belle reine exemplaire dans son rôle de Sacrifice ; Royal le manipulateur ; le Fou, qui tient plus du Prophète ; Vérité le roi qui sacrifie sa santé, son bonheur et celui de sa femme à son royaume, et exige tant de Fitz ; Nighteyes le loup plus sage que Fitz et bien des humains ; etc. Certains personnages semblent un peu sous-employés, par exemple Célérité, une fille de Duc avec un penchant pour Fitz qui aurait permis de compliquer un peu l’intrigue du troisième tome.</p>
<p><a href="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/images/livres/Farseer-AssassinsQuest-UK.jpg" title="Farseer-AssassinsQuest-UK.jpg"><img src="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/images/livres/.Farseer-AssassinsQuest-UK_s.jpg" alt="Farseer-AssassinsQuest-UK.jpg" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" title="Assassin’s Quest" /></a>Difficile de poser un tome une fois commencé. C’est vraiment le devoir et la pression de Madame qui me forçaient à poser le livre sur la table de chevet le soir.</p>
<p>Des défauts ? Outre les personnages un rien trop prévisibles et parfois parfaits jusque dans leurs défauts ou quelques pages sans doute inutiles, je relèverai surtout la très frustrante incapacité de Hobb à faire des épilogues dignes de ce nom. La conclusion d’un tome de huit cent pages mérite mieux que d’être bâclée en vingt.</p>
<p>Après plus de deux mille pages, la fin de la trilogie laisse un grand vide. J’avais aussi ressenti ce manque après la fin du dernier tome d’<a href="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/index.php?post/Harry-Potter-and-the-Order-of-the-Phoenix">Harry Potter</a> (là aussi la conclusion était un peu rapide). Mais, ô délice, je découvre que Hobb a écrit non pas une mais deux trilogies à la suite. Je les mets sur ma liste de Noël… (En version française, tout a apparemment été regroupé dans une seule longue série.)</p>
<p>Bref, à conseiller, mais pas aux enfants : les scènes dures abondent (massacres de villageois par les pirates, séances de torture du héros…).</p>
<p>Si quelqu’un l’a lu, et éventuellement a lu la suite, j’aimerais bien avoir votre avis.</p>
<p><strong>Ajout de 2012</strong> : J’ai effectivement lu, aimé, et chroniqué la suite, les <em><a href="https://www.coindeweb.net/blogeclectique/index.php?post/The-Liveship-Traders-de-Robin-Hobb">Liveship Traders</a></em>.</p>
<p><strong>Ajout de 2014</strong> : Chronique de la trilogie <em><a href="https://www.coindeweb.net/blogsanssujetprecis/index.php?post/The-Tawny-Man-de-Robin-Hobb">The Tawny Man</a></em>, suite des aventures de Fitz.</p>https://www.coindeweb.net/blogsanssujetprecis/index.php?post/The-Farseer-Trilogy-de-Robin-Hobb#comment-formhttps://www.coindeweb.net/blogsanssujetprecis/index.php?feed/atom/comments/635