Je dis toujours que les compagnies aériennes constituent l’illustration parfaite de la différence entre sécurité et fiabilité : s’il est effectivement très peu risqué de prendre un avion (bien moins que sa voiture ou son vélo), les chances d’arriver en temps et en heure sans une contrariété quelconque évoluent plus près de 50 % que de 99,999 %.
Je vole peu, pourtant j’ai déjà ma part d’histoires de vols annulés, retardés, pour raisons techniques ou sociales, plus souvent pour des bouchons sur les pistes (typiquement à Orly le vendredi soir).
Vivement le TGV (et je dis ça peu après une grève de la SNCF). (Ajout de 2010 : Le TGV on l’a et c’est super, mangez-en !)

Les différents intervenants

Une collègue vient de nous raconter son calvaire.
Elle utilise une compagnie très connue pour les vols intérieurs (appelons-là, disons, Air Gaule). Notre employeur commun nous demande ordonne de commander tous nos billets (ferroviaires, aériens…) par une agence de voyages assez connue qui fait aussi dans les services financiers ; appelons-la Antarctic Express.

Le passage par cette agence de voyages permet apparemment de gagner 20 € sur le prix du billet. Quand je dis « gagner », c’est l’agence qui encaisse 35 € de frais, au lieu de 15 € par Air Gaule.
En échange, nous disposons d’un joli site web qui stocke nombre d’informations confidentielles à notre sujet, et nous refuse des vols qui ne couvrent pas la « politique voyage ». (Ce sont des interdictions du genre : « non, tu ne traverseras pas la moitié de la France en avion, faudrait le faire en train et y passer quatre fois plus de temps au total et payer une nuit supplémentaire à Lutèce. » Bon, les bigs chefs valident systématiquement la dérogation aux critères sans doute pondus par un acheteur à la Défense qui ne doit pas aller souvent en clientèle hors d’Île-de-France. Bref.)

Clouée au sol

À notre époque, les billets sont tous électroniques, en fait juste un numéro quelque part pour qu’à l’enregistrement il soit possible de retrouver notre trace dans l’ordinateur au cas où le vol, le nom et le numéro de la pièce d’identité ne suffisent pas. L’inconvénient est qu’il n’existe plus aucune garantie physique au client que son billet est valable.

La collègue en question a donc été fort marrie quand, après une longue queue devant le guichet, l’humeur maussade comme on l’est à six heures du matin après s’être levé à quatre, la charmante hôtesse[1] ne l’a pas trouvée parmi les passagers recensés par le Grand Serveur Central : l’agence n’avait pas transmis la réservation.
Adrénaline, queue au guichet vente, re-queue devant l’enregistrement, obligation de se contenter des dernières places (ni hublot ni couloir) si même il y a encore de la place, retard éventuel, etc.

Ce genre d’incident est pénible la première fois ; mais bosser dans l’informatique enlève toute illusion sur la fiabilité absolue de tout ce qui est électronique, et rend philosophe.

La deuxième fois c’est encore plus pénible.

La troisième fois, on se demande si on ne va pas lâcher l’agence de voyages[2].
Surtout quand, au moment de re-réserver le billet qui n’a jamais été transmis, on s’aperçoit que l’abonnement à Air Gaule a été bloqué pour un papier jamais arrivé, jamais transmis apparemment par l’agence de voyage. Air Gaule proteste de sa bonne foi en avertissant qu’ils ont averti l’agence de voyages… qui n’a jamais averti sa cliente.
Le paiement, lui, a bien été transmis.

(Au passage : cette même collègue s’est fait « ensacheter » deux dangereux bâtons de rouge à lèvre par les services de sécurité. Coup de chance, ils n’ont pas vu ses médicaments, elle n’avait pas l’ordonnance.)

La même collègue a rapporté le cas d’un autre utilsateur d’Antarctic Express, qui un jour manqua son vol départ pour une raison quelconque. Après s’être débrouillé seul pour prendre un autre vol (sur le même billet affaire donc décalable), et avoir fait ce qu’il avait à faire là où il allait, le malheureux a découvert à l’enregistrement la disparition de son voyage retour : informée de son absence au départ originel, l’agence avait annulé le retour.

Ces problèmes, paraît-il, n’existaient pas avec l’agence de voyage locale utilisée encore il y a quelques années. Ces gens-là n’avaient pourtant pas de centre d’appel continental avec des employés dressés comme des robots à lire leur script et à ne surtout pas prendre d’initiative, et qui changent à chaque contact. Comment diable pouvaient-ils être compétitifs ?

Moralités

Que le malheur des uns serve de leçon aux autres : ces exemples pointent un problème de plus en plus courant à notre époque. Ici on ajoute un intermédiaire qui est censé fournir les mêmes services que le fournisseur final. Il ne s’agit pas ici de cas où une agence de voyages vous mitonne un Dijon-Christchurch[3] via quatorze correspondances et huit compagnies, en choisissant parmi sept mille trajets possibles (rôle de courtier en quelque sorte), mais du cas très courant dans le métier de vols sur des lignes du principal opérateur national.

Intermédiaire inutile également car Air Gaule, non content de faire voler ses clients, fournit service web, centre d’appel, etc. a priori moins dysfonctionnels que tout intermédiaire puisque la compagnie a la maîtrise des machines et l’accès direct aux données et logiciels. (Quoique avec la vogue actuelle de décentralisation et filialisation, ce serait à vérifier…)

Bref, un cas typique de notre époque où les couches s’amoncellent, et les problèmes de communication (inévitables, même à l’époque d’Internet) vont avec la complexité du flux.

Bizarrement, la facturation ne tombe jamais en panne. Elle est même la seule à faire du zèle.

Je ferais volontier le parallèle avec mes problèmes très techniques et très personnels de sabotage mutuel entre trois outils qui essaient tous les trois de faire la même chose

Pour finir, revenons à la justification de l’utilisation de l’agence de voyage : il paraît qu’en fonction du chiffre d’affaire généré avec elle, notre groupe encaisse une ristourne. Cette ristourne est invisible sur les avances de fonds que nous, petits consultants migrants, faisons[4] (avances débitées après le remboursement des frais, à quelques jours près, si le secrétariat ne fait pas d’erreur et est alimenté en feuilles de frais suffisamment à temps). Elle est aussi invisible sur les billets à titre privé que nous serions tentés de commander via Antarctic Express. On pointe là un autre problème, celui de la séparation entre l’effort et le bénéfice. La conscience professionnelle et la volonté de réduire les coûts de son employeur ont leurs limites quand les contraintes s’accumulent et que les gains ne sont jamais, même symboliquement, partagés.

Notes

[1] Je brode, c’était peut-être un très moche stewart.

[2] D’ailleurs elle a annoncé ne plus l’utiliser. Vue l’ambiance à l’agence, je ne pense pas qu’il y ait jamais de sanction pour cette violation des procédures.

[3] Nouvelle-Zélande.

[4] Oui, dans ma SSII (c’était en 2006, mon nouvel employeur paie lui-même l’avion. - Note de 2007), nous devons avancer tous les frais de déplacement sur nos deniers personnels, via la carte de crédit à débit différée fournie par l’entreprise et débitée sur notre compte personnel. Cela implique surtout d’assumer les risques qui vont avec toute transaction quelle qu’elle soit.