Le commandement

Il est connu et très vrai que le commandement français est tout à fait prêt à rejouer la guerre de 1914-18, à savoir une guerre très statique, essentiellement défensive, d’attrition. Cette erreur stratégique et le déroulement désastreux des opérations révèlent des problèmes structurels de la hiérarchie militaire.

  • Gamelin, le général en chef français, a monté trop vite en grade et connaît trop peu la troupe. Ses qualités diplomatiques le font apprécier des politiques, mais il ne sait pas trancher. Son quartier général est trop loin du front, à Vincennes : c’est plus pratique pour la liaison avec le gouvernement, mais une catastrophe du point de vue communications. Les autres généraux français sont également en arrière du front, alors que Guderian et Rommel s’approchent assez près pour entendre siffler les obus, et ont une vision bien plus concrète du front.
  • Les Allemands ayant perdu la Première Guerre Mondiale, et s’étant vu imposer une armée symbolique, la hiérarchie de la Wehrmacht a été mécaniquement « purgée » de ses anciens cadres, et sérieusement rajeunie. L’arrivée d’Hitler au pouvoir a renforcé le phénomène. Pendant que de Gaulle piaffe d’impatience et n’est que colonel, les officiers de sa classe d’âge en Allemagne sont aux commandes (Guderian, von Manstein).
  • L’unité de commandement alliée n’existe pas, les Anglais sont autonomes, et les Belges et Néerlandais neutres jusqu’au déclenchement des hostilités. L’autorité de Gamelin sur les différentes armes est relative. En face les Allemands ont un commandement unique, cohérent, et sont devenus champions des opérations combinées (notamment entre blindés et aviation).
  • Weygand, remplaçant de Gamelin, se satisfait de sauver l’honneur sur la Somme et l’Aisne, puis verse dans le défaitisme et cesse de commander à mi-juin ! Pour lui, cette guerre était presque un simple épisode supplémentaire après 1870 et 1914-18 ; il ne voyait pas la nouvelle logique totalitaire nazie !

Les politiques

Lormier ne ménage pas les politiques français, et reprend les analyses de de Gaulle de l’époque : « la France s’enfonce dans une doctrine défensive qui convient aux politiciens médiocres et pacifistes de l’époque, obnubilés par les restrictions budgétaires liées à une situation économique déplorable. »

Ils ne sont pourtant pas tous à mettre dans le même panier, et les raisons de leurs erreurs peuvent parfaitement être rationnelles. Par exemple, Blum se méfie par principe de l’armée de métier prônée par de Gaulle. Ce qui n’empêche pas le Front Populaire de lancer un réarmement massif. Il aurait certes fallu investir plus dans l’aviation que dans la ligne Maginot…

Les idées de de Gaulle, notamment sur la force de frappe des chars, sont approuvées par nombre de personnalités. Mais la tendance massivement pacifiste jusque 1939 est difficile à vaincre.

Ce billet de blog.quarante.fr, passionnant mais trop long à résumer, donne un autre éclairage : en gros, le passage à l’arme blindée offensive dans les mains d’une armée de métier ramassée mais puissante, aurait été susceptible de modifier totalement la politique étrangère de la France. Or, l’idée d’une guerre préventive, qui aurait pourtant pu être justifiable avant 1939, est inconcevable pour des gens qui croient à la der des der.

Les politiques n’ont pas tous démérité dans la débâcle. À Bordeaux, les discussions autour de l’armistice dans le gouvernement de Paul Reynaud ont été vives. Weygand, et Pétain, et Laval veulent l’armistice contre Reynaud, Herriot ou de Gaulle. Reynaud jette l’éponge et démissionne, et Pétain prend le pouvoir avec les conséquences que l’on sait.

Les prisonniers

1,5 millions de Français sont fait prisonniers - les deux tiers après le 18 juin, à cause de la progression foudroyante des Allemands à la fin de la campagne. Lormier accuse Pétain d’avoir ainsi livré un million d’« otages » à Hitler.

Les erreurs stratégiques

Lormier évoque l’erreur de Gamelin d’intervenir en Belgique : les meilleurs troupes françaises se retrouvent alors loin de leurs bases et sont piégées par le « coup de faux » des panzers. Mais est-il politiquement réaliste de laisser totalement tomber la Belgique ? Lormier évoque des considérations stratégiques défendables — qui constituent précisément le piège.

En fait, les Français auraient dû attaquer bien plus tôt, par exemple huit mois avant, alors que la Wehrmacht envahit la Pologne et que l’Ouest de l’Allemagne est très mal défendu. Ils n’en font rien, sinon une offensive en Sarre totalement inutile. Hitler a tout le temps de dépecer la Pologne, d’envahir Danemark et Norvège, et de masser ses troupes pour son offensive en Occident ! Huntzinger par exemple était persuadé qu’il n’y aurait pas de combats en 1940.

Gamelin commet sa pire erreur en dispersant ses divisions blindées au lieu de les concentrer sur un point du front pour le percer. Avant le début des combats, Gamelin et certains de ses principaux généraux renforcent encore la ligne Maginot, déjà infranchissable, par des soldats et des chars, alors que l’on sait que le gros de l’armée allemande est ailleurs.

Culturellement, l’armée française n’était pas prête pour quelque offensive que ce soit.

Le rôle des civils

Si l’armée française s’est globalement tenue jusqu’à ce que tout soit perdu, les civils en fuite, eux, gênent terriblement les mouvements de troupe alliés en encombrant les routes. Les Allemands en rajoutent, les Stukas bombardant délibérément les colonnes de réfugiés pour augmenter la panique.

Les autorités civiles portent le coup de grâce dans les derniers jours de la guerre, quand tout est perdu. Sous la pression des maires, toutes les grosses communes sont déclarées « ville ouverte » par le gouvernement, ce qui livre les ponts aux Allemands ! Les maires interdisent même aux derniers éléments français toute résistance. (Franchement, je ne leur jette pas la pierre...) À ce moment, Pétain lui-même a annoncé qu’il négocie un armistice, se battre n’a plus de sens.

Comme dit Lormier, « ce n’est pas le soldat français qui a démérité en 1940 ! »

Continuer la lutte avec l’Empire ?

L’armistice signé par Pétain sonne le glas des espoirs de ceux qui, de Gaulle en tête, veulent continuer à résister dans le sud, ou avec l’Empire colonial, et aux côtés des Anglais. Une union des deux États avait même été envisagée[1] !

Lormier concède que, tôt ou tard, malgré des problèmes de ravitaillement et des obstacles ponctuels, les Allemands auraient fini par occuper toute la France, même sans armistice. L’armée français, amputée de ses meilleures troupes et de son matériel lourd, sans stocks ni industrie à l’arrière, malgré la flotte intacte et mille avions, et le soutien des Alliés, n’aurait pas pu tenir tête longtemps au Reich, ni même au seul Afrika Korps. Et toute la France aurait été occupée dès 1940, puis sans doute l’Afrique du Nord.

Pétain s’adresse aux Français à la radio le 17 juin, puis de Gaulle le 18, mais à ce moment ils sont peu nombreux à rejoindre ce dernier. Lormier rapporte avec délectation des paroles d’Hitler ou Kesselring sur la dureté des combats contre les troupes françaises libres en 1942 ou après, à Bir Hakeim ou en Italie. Numériquement faibles, ces troupes ont largement « sauvé l’honneur ».

Lormier rapporte les propos de Guderian sur la faute d’avoir laissé à la France un Empire colonial intact, ce qui lui permet ensuite de tenir une place dans la lutte finale contre l’Allemagne (et je renvoie au passage de la biographie de Canaris ici chroniquée pour juger du rôle des restes de la France en 1940 sur la politique méditerrannéene d’Hitler).

Bref

Un livre passionnant pour quiconque s’intéresse à la Seconde Guerre Mondiale.

Bibliographie

Comme des lions : le sacrifice héroïque de l’armée française - Mai-juin 1940 de Dominique Lormier,
Calmann-Lévy 2005

On pourra lire un autre commentaire du livre de Lormier chez Roland Hureaux : http://roland.hureaux.over-blog.com/article-1795926.html

Notes

[1] Plutôt utopique, évidemment, mais quel beau sujet d’uchronie...