Avec ce pavé, Romain Gary a décroché le premier de ses deux Prix Goncourt. Contrairement à la plupart des œuvres primées, le livre n’a pas été oublié.

Avec le temps s’est ajouté la patine et un très intéressant côté historique : l’action se déroule presque intégralement dans l’Afrique Équatoriale Française (Tchad, Centrafrique), peu avant la décolonisation, à une époque où « écologie » ne figurait pas au vocabulaire courant. Un ancien résistant déporté, Morel, se met en tête de protéger les éléphants, plus chassés par les Blancs pour le « sport » que par les Africains pour la viande. D’abord avec des pétitions inutiles, puis de manière plus violente. Il se met ainsi dans l’illégalité mais donne naissance à un phénomène médiatique où certains voient la main des communistes et d’autres un appel symbolique à l’indépendance des nations africaines. Lui se veut pourtant neutre, et exige juste que l’on fiche la paix aux éléphants.

Le plus plaisant à mes yeux a été la découverte de la société coloniale de l’époque : le gouverneur obligé de ménager la chèvre et le chou, les petits trafiquants en tout genre, les chasseurs, les profiteurs, les sorciers, les missionnaires, les indépendantistes, les paumés...

Se détache notamment Waïtiri l’Africain, ancien député, imbibé de culture française, décidé à inculquer de force les idées occidentales à son peuple qu’il juge arriéré, et à lui imposer une indépendance qu’il ne réclame même pas encore. Il est prêt à aller en prison, « antichambre des ministères », ou à faire liquider Morel après l’avoir aidé, pour que l’on ne s’aperçoive pas que la défense des éléphants n’est pas un symbole pour l’indépendance africaine, mais bien le but de l’écologiste. Le continent africain en a connu depuis, des Waïtiri...

Le peuple africain est spectateur de l’essentiel du livre. Le paysan de base ne voit dans l’éléphant qu’une masse de plusieurs tonnes de viande, et Morel explique clairement que les éléphants ne seront réellement à l’abri que le jour où les Africains mangeront à leur faim. L’écologie était — et est toujours — un souci d’homme rassasié.

Globalement, les coloniaux en prennent pour leur grade, même si l’écart est large entre le gouverneur qui se glorifie de ses succès dans la lutte contre les maladies, et les massacreurs d’éléphants.

Cinquante ans plus tard, les éléphants ont finalement été sauvés. Mais les Racines du ciel montre que certains des problèmes de l’écologie alors naissante n’ont toujours pas été résolus.