Windows est-il prêt pour l'entreprise ?

(Uchronie)

Directement d'un univers parallèle...

Microsoft Corporation, le petit éditeur de Seattle, nous gratifie de la dernière version de Windows, son système d'exploitation, nommée Windows 2000 (même si beaucoup de mauvaises langues dénient le qualificatif à ce qui resterait un DOS avec une surcouche graphique).

On se souvient que si l'éditeur a eu un certain succès avec Windows 3.1 pour le DOS d'IBM, il n'a jamais réussi à s'imposer sérieusement dans le monde professionnel, et est resté un éditeur de surcouches graphiques parmi bien d'autres, aux méthodes anti-concurentielles assez peu reluisantes.

À l'heure où toute l'industrie, même le leader Apple, semble se standardiser autour des Unix à base libre, on s'interroge sur la pertinence de développer indépendamment un OS totalement différent. Windows 2000 a-t-il plus de chances de s'imposer face à Solaris, Netware, Linux, OS/2 et /2X, FreeBSD et MacOS X que Windows 95 sur les bureaux ou le pitoyable Windows NT sur les serveurs ?

Installation : radicale

L'installation n'est pas très compliquée. La reconnaissance du matériel, s'il n'est pas trop récent, est bonne. On n'échappera pas à l'installation de nouveaux drivers, s'ils sont sortis pour Windows 2000, pour une partie du matériel. On notera que les anciens drivers de Windows 95 ne sont pas acceptés par Windows 2000, ce qui serait tolérable s'ils étaient tous portés sur le nouveau système. Or, c'est rarement le cas pour d'anciens matériels.

Stabilité en gros progrès

Techniquement, Windows 2000 se base sur ce que Linus Torvalds a qualifié de « merde technique », à savoir Windows NT. On se souvient du flop monumental de NT 4 dans le domaine des serveurs, qui était loin derrière tous les Unix en terme de stabilité et fiabilité. Le besoin de reformer des administrateurs à une interface bien moins logique et souple qu'Unix, bien que plus simple au premier abord, n'avait rien arrangé. Si Windows 95 et ses avatars ont difficilement trouvé une niche sur le bureau d'utilisateurs novices, NT ne méritait que de disparaître.

Il faut reconnaître que les choses se sont améliorées. Même encore à la traîne par rapport à Solaris, les *BSD ou Linux, et même si un utilisateur de base peut encore provoquer un crash irrémédiable de la machine, la stabilité est acceptable pour des applications non critiques.

Une interface graphique...

...en stagnation...

L'interface graphique était, dans les premières versions de Windows, un peu en avance sur son époque. Largement inspirée de celle du Macintosh, elle était bien supérieure (pour l'utilisateur moyen) à toutes celles alors disponibles sous Unix (notamment le répandu et peu regretté CDE).

Le phénomène est à présent inverse. À quelques peaufinages près, c'est strictement la même interface qu'en 1995. Même couleurs grisâtres, même forme des boutons, même menus énervants. Il n'y a aucun thème ! À la rigueur on peut choisir la couleur. L'utilisateur devra jeter à la poubelle toute sa collection de thèmes de bureau.

Le troisième bouton de la souris n'est pas géré. Par contre le double-clic est souvent obligatoire (le clic simple sur icône hypertexte est désactivé par défaut mais possible). Un compromis bâtard entre la souris mono-bouton d'Apple et les trois boutons que préconisent les logiciels libres, et qui désorientera toute la partie de la population la moins technicienne qui maîtrise mal le double-clic. (On remarquera cependant que ces gens ne sont pas prêt d'installer par eux-même un nouveau logiciel et ne verront donc jamais Windows).

Le copier-coller ne marche pas ! Sélectionnez un texte et milieu-cliquez ailleurs, rien ne se passe. N'importe quel Unix sait pourtant faire cela. Le passage par le clavier (Ctrl-C, Ctrl-V) ou les menus est obligatoire.

Ce copier-coller n'a aucune mémoire. L'habitué de KDE qui copie les différents éléments pour les coller ensuite dans un autre ordre sera complètement perdu ici. Microsoft proteste en soulignant que la fonction est incluse dans la suite bureautique Office 2000. À condition que l'utilisateur l'ait achetée !

Les utilisateurs de BeOS ou Linux connaissent bien également le multi-bureaux, qui permet d'avoir plusieurs groupes de fenêtres à l'écran entre lesquelles on navigue d'un clic. Windows, comme MacOS X, fait l'économie de cette si pratique fonction, alors qu'on s'adresse à des utilisateurs professionnels. Ce n'est même pas une option !

...obligatoire...

Cet OS est censé être pour un serveur, or l'interface graphique n'est pas débrayable ! C'est une conséquence du choix du « tout à la souris » (et à la source de bien des bogues majeurs dans NT). On se traînera donc l'interface graphique en permanence, en espérant qu'elle ne dévorera pas trop de ressources. N'oubliez pas de désactiver l'économiser d'écran 3D...

...et non déportable

En fait, cette interface graphique obligatoire vient aussi d'une autre lacune de Windows. Il est courant en entreprise d'avoir un serveur central auquel on se connecte à distance, et qui exécute des applications qui s'affichent sur l'ordinateur client. Windows ne le permet pas. Même s'il est clair que le but est la petite bureautique, on se demande quel est le but. Forcer les utilisateurs à acheter une license de chaque application pour chaque utilisateur potentiel ??!??

Logiciels fournis

Serveur

Pour un système serveur, l'achalandage est assez pauvre. Le serveur web IIS est fourni, ainsi qu'ASP, un équivalent de PHP (mais pourquoi réinventer la roue ?).

On trouvera aussi un serveur DNS et un serveur DHCP (propriétaires) ; bref le strict minimum. Rien de commun avec la richesse de n'importe quelle distribution Linux.

À l'inverse, l'interface graphique ne se désactive pas, alors qu'un serveur n'en a que faire, bien au contraire.

Client : strict minimum

Pour la bureautique, le choix est maigre. Outlook est un logiciel de courrier électronique relativement ergonomique, assez semblable à Evolution de Ximian, dont on verra plus bas qu'il soufre de gros problèmes de sécurité.

Write est un traitement de texte que n'importe quel lycéen peut écrire. Il fait d'ailleurs double emploi avec Notepad (!). La suite bureautique Office 2000 est en option (coûteuse), mais OpenOffice a été récemment porté sur cette plate-forme. Sun et IBM ne semblent pas vouloir porter respectivement StarOffice et Lotus Smartsuite sur une plate-forme aussi rare. Une version expérimentale de KDE, incluant KOffice, fonctionne plus ou moins. On voit mal l'intérêt d'Office 2000, surtout que la compatibilité avec les suites leaders du marché est totalement inexistante ! Certes, il en existe une version Mac assez courante, mais tout aussi fermée. Le format de vos fichiers est propriétaire, et la compatibilité entre les différentes versions d'Office n'a jamais été parfaite, au contraire.

Jeux : y a pas !

Partie inutile donc indispensable ;-) d'un serveur, les jeux sont réduits à la portion congrue : juste un démineur, un flipper et un jeu de cartes. Même pas de Tétris. Windows n'est pas un système pour jouer, même si les bibliothèques DirectX incluses dans le système sont, paraît-il, excellentes. Mais tant qu'elles ne seront pas portées sous licence libre sur d'autres systèmes, le monde du jeu restera fixé sur OpenGL et ses dérivés. Là encore, on se demande pourquoi Microsoft a réinventé la roue au lieu de se conformer aux standards existants.

Performance : pas le point fort

L'informatique faisant l'objet ces temps-ci d'attaque pour la réduction des coûts, un logiciel se doit d'être économe en puissance. Même si les interfaces graphiques récentes sous MacOS X ou Unix (KDE, Gnome...) ne sont pas légères, au moins s'adressent-t-elles à un public fortuné (Mac), ou sont-elles débrayables et peuvent être remplacées par une plus légère (Windowmaker, Ion...), voire par la bonne vieille ligne de commande. Une bonne chose pour maintenir en activité tous ces vieux Pentiums qui traînent encore.

À l'inverse, Windows semble d'emblée conçu pour une machine gourmande. N'espérez pas l'utiliser pour faire d'un vieux Pentium 100 un routeur ou un serveur DHCP !

Compatibilité : aïe !

Windows est un système autiste. Les versions antérieures ne juraient que par le protocole NetBIOS, incompatible avec le standard NFS ; à présent il s'agit d'ActiveDirectory, compatible avec rien du tout également (même si la base repose sur LDAP paraît-il). Novell fournit un client Netware pour Windows, mais on devra jongler avec plusieurs jeux de mots de passe. Utiliser NIS ou OpenLDAP est-il si compliqué ? Au moins a-t-on enfin TCP/IP installé en standard, au lieu de l'infâme et propriétaire NetBUI. Un pas vers l'ouverture sur le monde ?

En vidéo, deux formats bizarres, AVI et le nouveau WMA, coexistent. Détail intéressant sur ce dernier, il permet de gérer le Digital Restriction Management, en gros une restriction à la lecture et à la recopie demandée depuis longtemps par les maisons de disque et diffuseurs de films, qu'Apple refusait d'implémenter, et techniquement irréaliste dans le monde Linux. Microsoft préconise-t-il d'abandonner les bénéfices de l'informatique et de la dématérialisation des données, pour les lier à une machine ?

Le format WMA prétend aussi remplacer le très répandu MP3, et son remplaçant libre, OGG, en pleine ascension. On se demande quel est l'intérêt d'un nouveau format pour l'utilisateur.

Comme dit plus haut, les bibliothèques graphiques pour le jeu (DirectX) sont également différentes du standard OpenGL, que tout jeu actuel existe.

Apparemment Microsoft voudrait que les jeux soient développés uniquement pour son système, et qu'une simple recompilation soit impossible comme il est de coutume ! Une manière d'imposer sa future console de jeu ? Mais comment les studios de jeux vont-ils amortir leurs coûts de diffusion s'ils ne peuvent pas viser toutes les architectures simultanément ?

Multiprocesseurs : en option !

Windows 2000 supporte les machines multiprocesseurs, qui sont de plus en plus courantes. Mais ce qui est un paramètre comme les autres sous Linux ou Solaris devient une option payante chez l'éditeur de Seattle !

Sécurité : la passoire !

Les partisans du logiciel libre pourront continuer à flamer cette nouvelle version de Windows. Avant même sa sortie officielle, plusieurs bogues critiques de sécurité sont connus.

Le principal coupable est IIS, le serveur web. Que Microsoft ait tenu à redévelopper aussi un serveur web sans se reposer comme Apple ou IBM sur Apache, ou à la rigueur sur un serveur propriétaire éprouvé comme Zeus, est incompréhensible.

Le navigateur est une passoire. Il semble que foules de bugs permettent de prendre à distance le contrôle de l'ordinateur de quiconque surfe avec Internet Explorer 6 sur un site mal intentionné.

Outlook permet de consulter son mail. Il est dommage que dans une certaine quête extrémiste de la facilité d'utilisation, Microsoft autorise le logiciel à exécuter la moindre pièce attachée. Outlook reste le seul logiciel de courrier électronique capable de propager des virus ! Le phénomène existe déjà sur cette plate-forme ; il reste localisé uniquement à cause de la rareté des systèmes Microsoft. Certains redoutent un effondrement d'Internet par la charge des virus transmis d'une machine à l'autre si les systèmes fragiles comme Outlook se répandent trop, et si la diversité des systèmes informatiques n'est pas préservée.

Le plus hallucinant n'est pas que des bugs existent. Aucun concurrent n'en est exempt. On peut à la rigueur comprendre que Microsoft prenne des choix dangereux en matière de sécurité pour favoriser l'ergonomie. Les esprits les plus laxistes tolèreront que les correctifs soient publiés longtemps après leur annonce (Sun est coupable de cela aussi, et les partisans du logiciel libre lui reprochent vertement), soit-disant pour des raisons de soin dans les tests. Mais Microsoft a été jusqu'à nier nombre de bugs. Un administrateur système ne peut tolérer que la transparence de sécurité de son système soit soumise aux exigences du marketing de son fournisseur.

Last but not least, le code source n'est toujours pas disponible. Même Sun a accepté de publier son code, et ceci est de plus en plus est considéré comme une condition nécessaire (mais non suffisante) à un système sécurisé. Microsoft ne donne accès à ce code qu'à certains partenaires triés sur le volet contre rétribution financière et avec signature de nombreux accords de non-divulgation ! Comme si un constructeur automobile vous interdisait de regarder vos freins !

Système de paquetage : connaît pas !

Dans l'éternelle guerre sainte des systèmes de paquetage DEB contre RPM, Windows ne prend pas parti. Il n'y en a pas !

On aurait pu penser que Microsoft a opté pour le système de MacOS X, à savoir un simple glisser-déplacer d'un répertoire dans un coin du système. Après tout, c'était ce qui se faisait sous DOS puis Windows 3. Mais non : chaque application doit pourvoir à son installation et peut faire ce qu'elle veut sur le système, ouvrant la voie à tous les problèmes !

Certes, cela est possible sous Unix aussi, mais d'une part un emplacement pour les applications non soumises au système de paquetage est toujours prévu (on n'a pas ici d'équivalent au /usr/local/), d'autre part cela ne sert que si on compile soi-même ses applications. Or Windows ne contient pas de compilateur ! Si gcc a été porté, on ne peut que regretter que le compilateur de l'éditeur (avec IDE, assez pratique au demeurant) soit une autre option payante. Bien sûr, il est impossible de recompiler une partie de l'OS pour l'optimiser.

De même on regrettera que les bibliothèques système ne permettent pas d'avoir plusieurs versions simultanément. Un cauchemar d'administration en perspective.

Coût et licenses : à la caisse !

Windows ne se bat pas sur les prix. La version professionnelle est à presque 500 €. Office 2000, un add-on apparemment nécessaire, dépasse les 700 €. On comparera aux 80 € d'une Suse, d'une Redhat, ou d'une Mandrake, sans parler de la gratuité d'une Debian. On n'est pas prêt de voir Windows chez Ikarios.

Microsoft semble préférer des machines préinstallées et préconfigurées, comme Apple, mais avec du matériel PC un peu moins coûteux. On peut se demander comment cela fonctionnera : Apple s'en sort car il maîtrise sa plate-forme. Or Windows est censé fonctionner sur la multitude de configurations des PCs. Comment va-t-il se constituer une bibliothèque de drivers alors que l'intégralité de son code est fermé ? Les fabricants de matériel sont trop occupés à supporter de 5 à 18 versions d'Unix différentes, pour consacrer suffisamment de temps à un système totalement étranger.

Plus grave, il semblerait que certains constructeurs, voulant encourager la concurrence au niveau de l'OS en ajoutant Windows à la masse des Unix (BeOS, Solaris, les Linux...) en multiboot sur leur PC, se soient vu opposer un refus de Microsoft : l'éditeur voulait que le vendeur achète une license pour toutes ses machines vendues, sans possibilité de multi-boot. Une tactique incompréhensible qui mériterait un coup d’œl des autorités de protection de la concurrence si Microsoft devait devenir un acteur important du secteur.

On terminera sur un point qui risque même de causer de réels problèmes judiciaires à Microsoft : la license réclame pour l'éditeur le droit de recevoir de l'ordinateur des informations sur sa configuration, et de désactiver les programmes qui gèneraient le système de DRM. En clair, installer CDParanoia pourrait mener à un refus de fonctionner du système. Quels sont les critères ? Mystère. On croyait qu'un ordinateur était censé obéir à son propriétaire, pas à l'éditeur de l'OS...

Conclusion

Windows 2000 marque un progrès indéniable, notamment au niveau de la stabilité, par rapport aux version précédentes. La plupart des autres lacunes n'ont cependant toujours pas été corrigées.

Microsoft semble soufrir d'autisme et du syndrome NIH (Not Invented Here), et s'assoit systématiquement sur tous les standards courants : protocoles de communication, formats de documents... sans y apporter pourtant d'amélioration réelle. L'interface graphique est pauvre et très rigide. Sa présence obligatoire et sa lourdeur interdisent une utilisation sérieuse comme serveur. Au niveau sécurité, le casier de l'éditeur est très chargé, et l'absence de disponibilité du code source ne va rien arranger. L'absence de système de paquetage sérieux est un cauchemar d'administration.

Le coût d'utilisation est très élevé. Non seulement les licenses sont chères, mais les coûts cachés sont effroyables : impossibilité de récupérer de vieilles machines en raison de la lourdeur du système, impossibilité de déporter un affichage, points très litigieux dans les licenses, difficulté d'insérer Windows dans l'existant du système d'informations (même si nombre de logiciels libres vous faciliteront la tâche), et nécessité de re-formation complète du personnel à un système étranger à tout ce qui existe déjà.

On se demande comment Windows pourrait conquérir de nouvelles parts de marché dans ces conditions. OS/2, Solaris et BeOS ont déjà bien du mal sur plate-forme PC face aux logiciels libres ; encore ont-ils leurs points forts et respectent-ils les standards. Windows n'est même pas basé sur Unix.

Logiquement, la logithèque de Windows est très réduite. Bien sûr, les logiciels libres qui pullulent déjà sous Solaris, MacOS, Netware ou BeOS sont pour beaucoup déjà portés sous Windows. Mais leur intégration est moins harmonieuse qu'au sein d'un système d'inspiration Unix classique ; Microsoft ne semble pas avoir voulu les utiliser.

Windows 2000 n'est pas prêt pour un usage professionnel ou même personnel. Seuls les passionnés de systèmes alternatifs hors normes, ou les quelques utilisateurs des versions précédentes, lui trouveront un intérêt.


Une version réaliste de ce genre de test a été réalisée en 2006, portant plus particulièrement sur l'installation de la bête : Switching to Windows : not as easy as you think (en anglais).

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