Un dessin vaut mieux qu’un long discours. C’est pour cela que les pictogrammes et icônes sont apparues et sont parfois bien plus parlants qu’un texte. Les panneaux routiers sont un exemple, les icônes dans les systèmes d’exploitation graphiques actuels aussi.

Samedi dernier je passais devant un de ces panneaux judicieusement positionnés avant un radar automatique. Ce panneau date du XXIè siècle. La silhouette de voiture qui y figure rappellerait par contre une petite voiture banale des années 60. Quant à la moto stylisée sur ce même panneau, je pense qu’elle ne jurerait pas dans un film d’avant-guerre.

Plus tard, devant mon mes ordis, je jette un œil aux icônes, dans Windows, KDE, ou Mac OS X.

  • Utilisez-vous encore des disquettes ? Oui ? Est-ce pour autre chose que du transfert entre machines ? Même les membres de ma famille dans l’Éducation Nationale sont passés à Internet ou à la clé USB, c’est dire ; cependant presque chaque logiciel actuel siècle comporte l’icône d’une disquette pour la fonction « Sauvegarder » - sur le disque dur dans 99,9999% des cas.
    (On me rétorquera : que pourrait-on mettre à la place ? Une icône de disque dur, c’est moyennement parlant et pas facile à dessiner, ni à reconnaître. J’y reviens).
  • Hier j’ai cacheté des enveloppes en papier à la main, léché et posé des timbres, et écrit, à la main, des adresses qui ne comprenaient pas de @. C’était la première fois depuis longtemps. Par contre, je clique cent fois par jour [1] sur des symboles d’enveloppe dans KMail pour gérer mes courriers électroniques.
    Il y a même parfois des timbres, concept ahurissant dans le monde du SMTP (et du spam).
  • Toujours dans KDE, un logiciel de traitement de texte est représenté par une machine à écrire - très joli design des années 20. Je me vois bien expliquer à mon petit Rémi (6 ans dans 4 ans) le rôle d’une machine à écrire (« un traitement de texte qui imprime directement » ?)
  • Nombre de media players et autres logiciels vidéo affichent fièrement des icônes, logos, images de films (35 ou 70 mm, peu importe). Mais la dernière fois que j’ai vu manipuler de tels films dans le monde réel, c’était dans les années 80. Les cinémas en utilisent encore, mais si George Lucas arrive à ses fins, les pellicules seront, là aussi, vite balayées par la numérisation et la transmission par Internet.
    Mon magnétoscope à cassettes (technologie du début des années 80) n’utilise que des bandes magnétiques simples, sans crans latéraux (certes mal icônifiables). Par contre, mon nouveau et dispendieux lecteur-enregistreur DVD à disque dur, dans ses menus, utilise l’icône de la pellicule à crans !
  • Comment un ordinateur portable indique-t-il le niveau de charge de sa batterie ? En affichant souvent une icône de pile, genre AA ou LR6. Pourtant une batterie de laptop tient plus du parallélépipède que du cylindre.
  • Dans Windows XP, le menu « Apparence et thèmes » est accompagné du symbole d’un nécessaire à peinture pour peintre ; pour Paint ou nombre d’autres logiciels de dessin ou retouche, le pinceau est récurrent. La peinture, à l’huile ou à l’eau, sur écran LCD est pourtant rare hors des blagues sur les blondes.
  • La fonction « Rechercher », que ce soit dans Internet Explorer (Windows) ou Spotlight (Mac OS X), est représentée par une loupe. J’en utilise pourtant rarement dans la traque d’un papier dans la jungle de mon bureau ; un furet ou un explorateur à la Indiana Jones serait plus pertinent. (XP affiche d’ailleurs un petit chien, mais la loupe est toujours dans la barre d’outils.).
  • La plupart des fonctions « Édition » d’un logiciel font appel à la symbolique du crayon qui court sur un bloc-note ou du papier. Pourquoi pas un clavier ? Serait-ce trop réaliste ?
  • Les fenêtres (que ce soit en mode caractère DOS ou en 3D à la Looking Glass) n’ont pas grand chose à voir avec celles de la réalité, avec vitre et poignée. Il fallait certes un mot qui évoque quelque chose de carré, mais les termes « aquarium » ou « page » (repris d’ailleurs par le web) auraient convenu aussi.
    (Si j’en juge par XP, la fenêtre qui donne sur l’extérieur serait plutôt le fond de l’écran, couvert d’une herbe-si-verte-qu’on-en-mangerait-quoiqu’avec-Microsoft-c’est-sans-doute-OGM.)
  • Une page web n’est pas une page. Elle peut être arbitrairement infinie, multidimensionnelle, multimédia. Un article de journal en ligne a d’ailleurs souvent une autre page miroir, imprimable sur papier, elle.
  • Je veux bien comprendre les clés à molettes dans les menus « Préférences » (souvent sous KDE), mais pourquoi aussi des rouages ?
  • Je veux bien accepter un cadenas pour indiquer qu’une fonctionnalité ou un fichier est verrouillé ; le cadenas se rencontre encore tous les jours. Mais par extension la clé représente également souvent un fichier ou message crypté - il y a pourtant plus qu’une nuance. Le sceau conviendrait mieux, mais il est vraiment d’une autre époque. Mac OS X préfère le coffre-fort.
  • L’aide en ligne par contre se rencontre avec deux symboles contradictoires : une bouée (Mac OS X) ou un point d’interrogation (Windows/Office). Une manière de dire que l’un donnera une réponse dans un cas, et que vous n’aurez que de nouvelles questions dans l’autre ?
  • Les dossiers (ou répertoires) portent partout l’icône de ces pochettes cartonnées dans lesquelles on glisse des feuilles. Image pertinente, sauf que les arborescences actuelles et la masse de documents à l’intérieur devraient plutôt évoquer soit le carton, soit l’arbre (touffu), soit les poupées russes.
  • Le bouton pour allumer bien des gadgets électroniques récents est un cercle interrompu par une petite barre verticale. C’est un symbole qui en vaut un autre, mais quelle est son histoire ? Un jour j’ai cherché à allumer mon Mac, et c’était le seul bouton visible, c’est ainsi que j’ai appris ce symbole.
    Ajout du 13 août 2006 : Le Thias の blog a une explication : ce serait un mélange des I et O de certains interrupteurs. Le reste du billet s’interroge sur le rôle des idéogrammes croissant dans notre civilisation. À lire.

Des mots aux icônes aux mots

Les icônes commencent à avoir leur propre signification. On rencontre moins souvent ON/OFF écrit en toutes lettres sur un appareil électronique. Les exigences de la mondialisation (qui écrase les différences linguistiques), du manque de place sur certains petits appareils, mais surtout, je pense, l’importance du design, mènent à replacer le texte par l’icône.
De même, les petits triangles sur les télécommandes ont remplacé les anglophones Play, Rewind et Pause. Leur sens est à présent universel, même si nous les avons appris à force de les rencontrer.

Il y a des abus : le téléphone de mon bureau possède le dièse et l’étoile, dont par expérience je sais qu’ils servent un peu à tout, et quatre boutons totalement abscons (j’aurai besoin de faire des tests pour savoir comment transmettre, rappeler le numéro précédent...). Si une icône n’est pas explicite, autant mettre un texte.

Et là, la lumière frappe : nos icônes, censées nous éclairer, sont toutes à présent accompagnée d’une aide (ces petits textes sur fond jaune qui apparaissent quand la souris s’arrête une seconde au-dessus de l’icône). L’aide possède une aide ! Le bouton avec l’icône ne sert plus en informatique que comme repère visuel et comme moyen de caser des fonctionnalités dans le minimum de place, pas comme objet à part entière.

Si le sens de l’image n’a plus besoin d’être immédiat, pourquoi chercher quelque chose qui a forcément un lien avec le réel actuel, voire passé ? Je ne sais pas comment évoluera l’icône de la disquette pour sauvegarder. Restera-t-elle, de plus en plus stylisée, ou un petit génie trouvera-t-il un substitut correct ? Mais le petit Rémi comprendra un jour qu’il doit « enregistrer » son dessin s’il ne veut pas le perdre[2]. Il saura que ça se fait en cliquant sur le petit carré bizarre.
Est-ce une bonne chose, sachant que bien des gens n’ont aucune compréhension réelle du fonctionnement d’un ordinateur ?

Transmettre un texte avec des dessins explicites n’est pas si facile, et dérive très vite vers les symboles et les rébus. Après tout, les chinois ont commencé comme cela, il y a quelques millénaires, le petit dessin devenant idéogramme[3].
Je me demande ce que ce serait l’interface informatique standard si les Chinois l’avaient inventée : aucune icône dessinée, juste une ribambelle d’idéogrammes, éventuellement colorés pour accrocher plus facilement l’œil ?
D’ailleurs, je m’attends à voir des idéogrammes un peu partout dans les années qui viennent.

Notes

[1] Façon de parler, je suis un fana des raccourcis clavier.

[2] Alors que les ordinateurs actuels ne devraient même plus le demander (comme un Palm) et garder d’office les différentes versions d’un document en mémoire, mais c’est un autre débat.

[3] L’alphabet phénicien, ancêtre du nôtre, a commencé comme cela aussi, d’ailleurs.