Cette planète n’est pas très sûre (Alexis Jenni, humenSciences) Dans l’histoire de la vie sur Terre, les extinctions principales n’étaient pas cing (Big Five) mais au moins six, plus celle en cours, quoique peut-être plutôt dix-huit, question de choix de seuil puisque la disparition et l’apparition des espèces est un phénomène continu, la moyenne est d’un million d’année d’existence pour les mammifères, et les pics sont des anomalies dans ce bouillonnement permanent, et cette phrase est trop longue comme certaines de celles de l’auteur.

Le propos est grand public, ouvertement « pop science ». Les termes techniques ne manquent pourtant pas. J’aurais aimé une petite frise chronologique des époques : si j’ai une vision claire de l’ordonnancement des Permien, Trias, Jurassique et Crétacé, c’est moins clair pour l’Ordovicien ou le Silurien. Merci Wikipédia pour les précisions.

Entre deux leçons de science, on croise Stephen Jay Gould, Lamarck et Darwin : à côté de géologie, il s’agit aussi d’évolution, et ces débats sont rarement scientifiques, et en disent beaucoup sur la société de l’époque. Le rôle du hasard sans but dans l’évolution est insupportable pour tant de monde, qui ressassent les mêmes arguments démontés depuis un siècle et demi. Gould dirait que la complexité des espèces n’est qu’une illusion : le monde reste massivement dominé par les bactéries et autres animaux minuscules.

Limite K-T

On commence par la plus connue et médiatique des extinctions, celle d’il y a 66 millions d’années, où les dinosaures ont disparu, ainsi que les ammonites et nombre d’animaux et plantes. C’est l’occasion d’un petit cours de géologie de base sur les couches de sédiments : leur nature dépend en bonne partie des animaux morts qu’ils contiennent, et la fameuse couche K-T (Crétacé-Tertiaire)1 est justement vide de vie. Suit un exposé sur les différentes théories plus ou moins farfelues, les problèmes de datation, et la solution trouvée par Alvarez père & fils, décrite non comme un moment eurêka mais comme un bel exemple d’interdisciplinarité et de sérendipité. Alvarez fils, géologue, cherchait un moyen pour calculer la durée de cette couche K-T, et Alvarez père, astronome, eut une idée d’astronome : mesurer la quantité des métaux typiques des météorites, qui tombent des cieux avec une régularité de métronome. La quantité trouvée, astronomique (littéralement), mena immédiatement à l’hypothèse du caillou assassin.

C’est l’occasion d’un petit cours sur comment fonctionne vraiment la science, loin de l’image éthérée de la tour d’ivoire et des froids raisonnements. Les pinaillages incessants, la mauvaise foi des partisans des théories battues en brèche, les différentes quasi culturelles entre différentes branches des sciences, les conséquences des batailles passées (le catastrophisme a été difficilement délogé au XIXᵉ, on n’allait pas le faire revenir !), même les éventuels noms d’oiseaux échangés… garantissent au final la solidité de la théorie finale 2, ou l’améliorent. La théorie volcanique reste l’alternative la plus plausible à la météorite, mais elle ne résista pas aux dernières découvertes archéologiques, notamment à Chicxulub. S’il y eut des éruptions monstrueuses en Inde vers cette époque, il est significatif qu’elles aient eu lieu aux antipodes du point d’impact, une éventuelle activité ayant été empirée par l’onde de choc. Au passage, petite explication d’un hiver nucléaire.

Diplodocus sous une pluie d’astéroïdes (ChristianMR, CC0) Alexis Jenni se plaint que les gens ne soient pas comme lui fascinés par la couche K-T quand elle est si proche (il y a un spot au pays basque), ou même d’habiter à Chixculub. Je partage cet effarement, ça me remuerait d’être proche d’un témoignage d’un tel événement.

Du Permien au Trias

Ensuite on enchaîne sur la pire extinction : le Permien, 252 millions d’années en arrière, bien avant les dinosaures. Une période étouffante, avec très peu d’oxygène, avec un méga continent unique, des eaux trop basses… et donc peu de traces. La couche de transition est encore plus pauvre en carbone 12 (végétal, vivant) que la couche K-T. Des restes de champignons : beaucoup de bois mort. Les indices s’accumulent : la période déjà chaude (36 degrés de plus que la nôtre !) a été suivie d’une véritable cuisson.

Et cette fois le coupable semble bien volcanique, et sibérien, avec plein d’effets en cascade. (J’avais déjà parlé de l’extinction du Permien.) Notre civilisation ne part pas d’aussi chaud, mais on y va tout droit.

À cause du début du fractionnement de la Pangée et du volcanisme, une extinction moins grave (« juste » les ¾ des espèces) a lieu entre Trias et Jurassique, ouvrant le premier âge d'or des dinosaures.

Du Dévonien au Carbonifère

Dunkleosteus (fin du Dévonien), par Entelognathus via Wikipedia (CC by SA 4.0)

On revient encore 100 millions d’années en arrière. La fin du Dévonien voit deux ou trois pics d’extinctions sur une Terre pourtant luxuriante « dominée » par les poissons. Parmi eux, les premiers tétrapodes, qui, dans leurs mangroves encombrées, commencent à se demander si ça ne serait pas mieux sur terre. Cette fois, la cause de l’extinction serait la vie elle-même : le succès des forêts aurait entraîné une masse de sédiments vers les mers peu profondes de l’époque, devenues alors invivable pour nombre d’espèces. (La belle autorégulation de la planète est donc une légende, même à l’échelle de quelques millions d’années.) Cerises sur le gâteau : une glaciation pour faire chuter le niveau des mers (dit Wikipédia) ; puis un coup d’effet de serre pour détruire la couche d’ozone.

De l’Ordovicien au Silurien

On est presque un demi-milliard d’années dans le passé : pendant que des bestioles tenant du scorpion géant croisent dans les océans grouillant de vie invertébrée, les plantes et mousses commencent à conquérir la Terre, consomment le CO₂… et déclenchent une grande glaciation : exit 85% des espèces.

La Grande Oxydation

Cette glaciation, ce n’était certes pas la première de l’histoire de la Terre. Quand les bactéries se mirent à la photosynthèse, elles polluèrent massivement l’atmosphère avec leur déchet : l’oxygène, autrefois absent et mortel pour la vie. L'oxygène rouilla tout le fer de la planète, puis le méthane, très puissant gaz à effet de serre. Le soleil étant, il y a 2,4 milliards d’années, moins chaud, c’était parti pour 300 millions d’années de Terre-boule de glace. Le cycle du carbone est fragile et oui, la vie s’est lentement adaptée après l’hécatombe, mais le sort de ces bactéries anaérobies qui ont pollué leur planète à un niveau mortel (pour elles) et détraqué le climat devrait nous faire réfléchir. Il a fallu attendre que les volcans aient craché assez de CO₂ pour la débâcle.

Il y eut des rechutes de glaciation, notamment quand le supercontinent Rodinia se fragmenta, favorisant l’érosion et donc la chute du CO₂, provoquant le Cryogénien, juste avant la diversification et les bestioles bizarroïdes de l’Édiacarien.

Conclusion

On meurt beaucoup sur cette Terre, parfois seul et parfois brutalement tous ensemble.

La Terre a été alternativement une boule de glace et un four, et le soleil n'est pas le responsable principal. Un continent unique entraîne un désert en son centre, réduit l’érosion, réduit les mers peu profondes, le CO₂ s’accumule, la planète cuit. Quand un continent se scinde, l’érosion reprend, le CO₂ chute et l’effet de serre baisse, la glaciation menace. Le CO₂ dépend aussi des volcans et de l’extension du vivant. La vie s’amuse à balancer ses déchets dans l’atmosphère ou à jouer sur l’érosion. L’occasionnel géocroiseur ne fait que complexifier une situation assez instable.

Mais la vie est souple, grouille, s’étend partout… si on la laisse tranquille. La planète nous survivra, aucun doute là-dessus, quitte à panser ses plaies quelques millions d’années. Notre civilisation obsédée par le court terme ne verra peut-être pas le siècle suivant. Ne pas oublier non plus que les espèces qui pullulent (nous humains représentons 13% de la biomasse mondiale, nos animaux 85%…) finissent par devenir des ressources pour d’autres jusqu’à régulation (Je me dis que le Covid n’est que le premier de virus conquérants.)

Quant à une nouvelle extinction majeure, elle est bien en marche, et s’accélère : 80% d’insectes en moins (en poids) en 40 ans, les oiseaux suivent. Jenni panique. Anthropocène ou Nécrocène ?


  1. Apparemment, on dit plutôt K-Pg (Crétacé-Paléogène) de nos jours. ↩︎

  2. Je lisais justement un article de Pour la Science sur Pasteur, pas toujours exemplaire dans les débats scientifiques. ↩︎