Quid ?

La Coupe du Monde des Robots (RoboCup) s’est déroulée à Brême pendant la Coupe du Monde pour humains[1] de cet été, mais personne en France n’en a parlé. J’aurais bien aimé que les entractes mi-temps entre les deux moitiés des spectacl matchs officiels où des millionnaires surhommes dopés jusqu’à la moëlle surentraînés jouaient à la baballe se disputaient le ballon aient été consacrées à parler de cette Coupe annexe.
Après tout, les progrès de la robotique nous intéressent directement. Vues les courbes démographiques, il ne va pas falloir compter sur les jeunes générations pour payer nos retraites ou couper notre gazon[2] dans cinquante ans. Les robots autonomes servent déjà dans des endroits hostiles ou inaccessibles (fosses sous-marines, immeubles écroulés, plomberie bouchée, destruction de paquets suspects...). Bref.

But

La compétition existe depuis une dizaine d’années. Le but à long terme est de parvenir à monter une équipe de robots qui batte les champions du monde humains à la loyale sur un vrai terrain, vers 2050. On en est encore loin, le futur Zidane qui se fera humilier par des machines n’est pas encore né, mais les progrès sont constants. Asimov aurait aimé.

Les difficultés sont multiples : repérage dans l’espace, repérage du ballon, des adversaires, maîtrise de la marche (c’est plus difficile qu’il n’y paraît), de la course (encore pire) ; un robot doit savoir se relever seul (ils sont peu nombreux à savoir le faire) ; accessoirement il faut savoir se coordonner, shooter (sans tomber), viser, cadrer, marquer.
Afin d’accélérer le développement du domaine, les équipes sont tenues de publier leurs plans et codes après la compétition, pour que tout le monde reparte l’année suivante sur un pied d’égalité, nouveaux concurrents compris.

Les différentes compétitions

La science progresse en partie en tronçonnant les problèmes. Pour pouvoir avancer sur la coordination, par exemple, alors que les humanoïdes bipèdes savent encore à peine trotter, il existe plusieurs catégories de compétition avec des types de robots différents.

  • Les passes, la rapidité d’exécution et le cadrage n’ont plus de secret pour les équipes de la catégorie Small Size. Ces petits robots à roues de quelques centimètres s’affrontent avec une balle de golf sur une table de ping-pong ; ils communiquent par radio avec l’ordinateur central de l’équipe, et une caméra fournit les informations. La rapidité de déplacement et de tir est telle que l’œil humain a déjà du mal à suivre.
  • La catégorie Simulation est une version améliorée de ce qui se fait dans les consoles de jeu : un modèle physique qui tente de reproduire la réalité, et deux algorithmes se battent pour savoir lequel coordonne le mieux ses troupes.
  • Le plus rigolo est sans doute la catégorie Quatre pattes : les robots sont cette fois matériellement identiques, il s’agit d’Aibos, les chiens robots de Sony. Ces bestioles sont trop craquantes, et on peut leur apprendre à jouer au foot. Là encore il s’agit d’une guerre de logiciels, mais dans le monde physique.
    Je ne sais pas ce que va devenir cette catégorie, puisque Sony a annoncé l’arrêt de la fabrication des Aibos (pas assez rentable ; après tout faire rêver les gens avec ce genre de gadgets ne sert à rien pour bâtir l’identité d’une marque... ).
  • Les choses sérieuses comment avec la récente catégorie Humanoïdes. Des robots bipèdes, encore très patauds, s’affrontent lors de tirs au but, de poursuite de balle... Les matchs complets ne sont pas encore au programme.

Les candidats (humains)

Ils sont nombreux, essentiellement des équipes universitaires de laboratoires de recherche en robotique ; et ils viennent de nombreux pays. Les podiums des différentes compétitions n’ont pas grand-chose à voir avec ceux du foot « humain » : l’Allemagne se classe très bien certes, mais aussi l’Australie, les États-Unis, l’Italie, et... l’Iran, avec des équipes féminines qui se sont faites remarquer. On notera avec consternation l’absence de la France dans ce domaine.

Pour un mini-reportage et des photos, voir le Nanoblog de Cyril Fievet. Je relève une remarque de sa part à garder à l’esprit :

« En voyant les robots se précipiter vers la balle, se pousser les uns les autres pour se l’approprier, se dégage l’impression de volonté. À plusieurs reprises, j’ai eu l’impression que les robots “voulaient” la balle, ou “voulaient” marquer des buts. Cette notion d’intentionnalité de la machine est pour le moins troublante. Cela confirme, à mon sens, le fait qu’une machine simulant de façon sophistiquée des comportements humains parviendra sans peine à se faire passer pour vivante ou, au moins, mue par une intention consciente. C’est ce qui fera que des robots sauront un jour nous faire admettre qu’ils sont conscients ou ressentent des émotions : ce ne sera pas réellement le cas, mais ils parviendront à nous convaincre du fait que ça l’est. »

Ajout de 2010 : Quatre ans après, que de progrès !

2050

À quoi ressemblera ce fameux match de 2050 ?

Déjà, qui seront les plus « robotisés » ? Difficile de prévoir l’évolution technologico-sociale dans presque deux générations, mais les joueurs de 2050 ressembleront peut-être plus à des cyborgs bourrés de nanotechnologies qu’aux grands athlètes barraqués actuels bourrés de médicam.

Ensuite, quel sera encore le rôle du moral ? Des robots n’ont pas d’états d’âme, ils continueront de se battre de la même manière, qu’ils mènent par 18 à 0 ou se fassent humilier par le score inverse (leur prise de risque pourra varier, pas la volonté de fer). Sauront-ils manier aussi la provocation pour mener l’adversaire au coup de boule à la faute ? (Les logiciels savent déjà pousser l’adversaire au hors-jeu.)
Dans le même registre, les programmera-t-on pour tenter, comme les humains, de tricher en espérant que l’arbitre ne verra rien ? Quel scandale si les robots gagnaient grâce à une main ou une simulation !
Et à qui donner des cartons jaunes et rouges quand les machines sont identiques et interchangeables ?

Quels petits avantages imprévisibles les robots auront-ils ?
Par exemple, lors d’un penalty, une machine ambidextre n’a pas de pied favori. Elle sait de plus réellement choisir un pied au hasard. Elle peut également avoir en base de donnée les points faibles et forts de tous les gardiens rencontrés.
Comme Kasparov en face des ordinateurs, les humains trouveront-ils un « trou » dans l’algorithme leur permettant de récupérer systématiquement la balle ? Un des enjeux de l’intelligence artificielle est d’ailleurs que les robots se rendent compte eux-même de ce qui se passe, et adaptent leur stratégie.

Le tacle sera-t-il impossible/suicidaire sur des jambes de métal et plastique, ou sera-ce le meilleur moyen de faire chuter des machines lourdes qui peineront encore à se relever ?

Pour la sécurité physique des joueurs humains, faudra-t-il limiter le poids et la vitesse de course et de tir des machines ? Des robots de 300 kilos lancés à 50 km/h shootant à 250 km/h gagneraient tous leurs matchs par abandon (ou décès) de l’adversaire. Trop de vitesse serait d’ailleurs un énorme handicap pour les humains, moins endurants.

Notes

[1] « Pour hommes », devrais-je dire, mais la Coupe féminine n’existe pas pour les médias.

[2] Le type même du robot cent fois annoncé, jamais vendu. Ce serait pourtant une bénédiction de voir ma pelouse tondue toute seule. J’attends également le tailleur de troënes avec impatience. (Ajout de 2010 : Les tondeuses robot existent, j’en ai vues. Encore un peu chères mais ça devient accessible.)