Un quart de ma famille vient d’un bled rural et bucolique du Sept-Un, petit paradis pour ruminants où j’ai passé de bien agréables vacances pendant mon enfance. Je suppose que ma grand-mère y a ses racines depuis la fondation de la bourgade lors des défrichements du Moyen-Âge, du passage d’une légion romaine, ou carrément au néolithique.

Complétant les notes prises dans sa jeunesse par mon oncle (qui à l’époque n’avait pu photocopier les actes), j’ai pu en quelques jours remonter de deux générations, au-delà de la Révolution. Le plus ancien de mes ancêtres connus, justement dans ce département, remonte à 1764 (environ — je n’ai pas (encore ?) son acte de naissance).

Les tables décennales sont en ligne. Ce sont des index par commune et tranche de dix ans reprenant les noms et dates dans les actes, écrits décemment. Elles sont très pratiques et permettent de gagner un temps fou en recherchant systématiquement un nom sur plusieurs décennies sans avoir à feuilleter des centaines de pages de registres illisibles. Les tables décennales sont indispensables pour rechercher toute une fratrie (car si un fils voit ses parents mentionnés dans un acte, les enfants, eux, ne sont pas mentionnés et il n’y a pas de moyen simple de redescendre les générations.). Pour le 71, un passionné a d’ailleurs carrément scanné ces tables et les a mises en ligne ; elles sont plus pratiques sous cette forme que l’interface assez lourde du site officiel.

Il m’a quand même fallu éplucher les registres d’état civil 1793-1802 de Marcilly-la-Gueurce dans leur intégralité pour retrouver certaines informations. Mais au moins pouvais-je les feuilleter sur mon écran, sans sacrifier trois jours et rouler 700 km aller-retour !

Remonter jusqu’aux années 1850 se fait en général très facilement. Mais dès que l’on parle de personnes nées avant que l’état-civil mis en place par la Révolution ne soit rodé, ça se corse. S’ajoutent d’autres difficultés :

Les changements de nom

Avant 1800 (en gros), « Monnet » s’écrivait plutôt « Monet ». Rien de bien méchant, mais il est quand même étonnant que l’orthographe ait encore évolué à cette époque où les actes étaient tout de même déjà écrits, y compris par ledit ancêtre à l’orthographe instable que j’ai retrouvé signer de nombreux actes comme officier d’état civil sous la Première République ! Un demi-siècle plus tard, celui qui a retranscris les tables décennales a même écrit « Monnêt ».

Quant au patronyme de la femme du susdit Monnet, il doit avoir autant de formes que j’ai retrouvé d’actes le mentionnant !

Les homonymies

Si notre époque aime l’originalité, la créativité, voire l’exotisme dans les prénoms, si j’en juge par ceux des camarades de mon fils, les XVIIIè et XIXè siècles préféraient le recyclage permanent. Jean, Claude, Jean-Claude, Antoine, Benoît... Il y en a une poignée, et chacun ou presque trouve son homonyme dans l’arbre même. Il faut faire attention à ne pas mélanger le grand-père avec l’un des innombrables enfants morts en bas âge.

Au fils du Monet officier d’état-civil susdit il fut donné le prénom de Jean-Claude. Ce qui n’empêcha pas ce dernier de se faire nommer Claude tout court, comme son père, dans nombre d’actes. (Jean-)Claude s’est marié trois fois (les deux premières femmes n’ont pas dépassé les vingt-cinq ans : mortes en couches ?), et j’ai longtemps soupçonné une homonymie ou la présence d’un frère. Mais le pot aux roses s’est dévoilé quand je suis tombé un peu par hasard sur l’acte de promesse de mariage entre lui et sa dernière femme (déjà enceinte, régularisait-on là une faute pour éviter le scandale ?), où il se nommait Claude, quand l’acte réel signé quelques jours plus tard portait Jean-Claude.

L’écriture

Si les registres paroissiaux signés par le curé jusqu’à la République sont un chemin de croix visuel, autant à cause de l’écriture que de l’absence de structure des registres (il sautait à peine une ligne de temps à autre) et de la mauvaise qualité des microfilms d’origine, les registres officiels tenus sous Napoléon sont un plaisir : le texte est imprimé, l’officier n’a plus qu’à combler les trous en indiquant noms, prénoms, lieux, qualité, etc. Étonnamment, ces formulaires redisparaissent ensuite, et des actes plus jeunes d’un demi-siècle arrachent à nouveau les yeux.

Une des difficultés dans le déchiffrage tient dans la diversité : chaque officier d’état-civil a son écriture. Et j’ai d’avance de la peine pour les généalogistes amateurs du futur, dont certains sont déjà majeurs, nourris toute leur scolarité de textes imprimés, et donc à peine capables de lire les écritures manuscrites, même actuelles. L’écriture de chaque officier est bien sûr fonction de celle de son époque, mais pas seulement : un acte paroissial de 1791 est mal écrit de manière « moderne », mais un autre de 1839 aux pleins et déliés se déchiffre avec peine.

Les majuscules constituent un obstacle supplémentaire : leur forme a beaucoup varié, et à petite échelle on retrouve les réflexes de Champollion déduisant un hiéroglyphe d’après le mot entier deviné, pour recycler cette connaissance dans un autre mot.

Les notations de mois souvent utilisées au XIXè siècle réservent un piège : que sont 7bre, 8bre, Xbre ? Non, le 23 Xbre 1791 n’était pas le 23/10/1791, mais le 23/12/1791. SEPTembre, OCTobre, DÉCembre ont bien gardé leur numérotation issue des Romains... avant que ceux-ci ne rajoutent deux mois en début d’année.

Un grand classique qui surprend la première fois le généalogiste du dimanche est le mois bizarrement inidentifiable, différent de janvier, février... Mais ça ne dure pas, on apprend vite les mois du calendrier révolutionnaire (frimaire, véndémiaire, nivôse...) quand une fratrie entière est née entre fin 1792 et 1805. Il y a un convertisseur en ligne.

La généalogie comme drogue dure

L’état civil par Internet fait sauter la plus grande contrainte du généalogiste amateur, à savoir l’inaccessibilité relative des documents, qu’il fallait commander un par un auparavant, et recevoir des semaines après voire jamais. Ces délais de réponse ont été la cause principale de la « stagnation » de mon arbre pendant longtemps. De plus, impossible de fouiller dans les registres de manière un peu exhaustive pour chercher un acte de décès qui pourrait être n’importe quand entre 1830 et 1890. Par Internet, ces actes que l’on négligeait autrefois deviennent accessibles, et augmentent le nombre d’actes que l’on ose chercher, faisant ainsi boule de neige. Je me suis surpris à chercher « au passage » dans les tables décennales la famille de la première femme du susdit Jean-Claude Monnet décédée en 1822, alors que ces gens n’ont absolument rien à voir avec moi. Ma manie de l’exhaustivité...

La généalogie devient alors une drogue dure, qui commande de chercher toujours plus loin chaque ancêtre, de lire exhaustivement les cryptiques registres paroissiaux pour relever LA mention illisible qui note la naissance du futur patriarche familial, et qui, si Dieu le veut, précise qui sont ses parents, et, miracle, leur âge (la date de naissance n’y est pas ; avant 1800 au moins il semble que les gens de cette époque ne se soient souvenus qu’imparfaitement de leur propre âge...).

Et rappelons que le nombre d’ancêtres double à chaque génération... Après une semaine, je n’ai toujours pas terminé la branche paternelle du grand-père de ma grand-mère, ni cherché sérieusement d’acte pré-révolutionnaire, c’est dire le boulot qu’il me reste. Heureusement, ces données ne se périment pas.

Bref, si ce blog semble délaissé ses prochains temps, il ne faut pas aller chercher bien loin la cause (en plus de l’habituel et chronophage boulot/auto/marmot/dodo).