Mythe 1 : les terroristes sont le Mal incarné

« Ils nous attaquent parce que nous sommes le Bien », et eux sont purement maléfiques — c’est le mantra de Bush en 2001 par exemple, et cela revient encore de nos jours. Mais ce n’est pas la motivation première des kamikazes. Une étude a établi que pour beaucoup leur motif est la vengeance : contre l’Amérique qui frappe où elle veut (Afghanistan, Irak, Yémen...), contre Israël... (et en France contre ces blasphémateurs de Charlie Hebdo, contre les frappes françaises en Syrie, contre les lois sur la laïcité...)

Plus qu’étendre la Charia, les terroristes pensent protéger leurs coreligionnaires.

(Daesh ou les Talibans sont très doués pour monter en épingle la moindre bourde de ciblage des frappes occidentales. Goebbels faisait pareil après les bombardements alliés, nettement moins ciblés. En conséquence, toute riposte de notre part doit être soigneusement pensée pour ne pas être récupérée. C’est pour cela que les Américains n’ont pas déployé toute leur armée contre Daesh, le remède serait peut-être pire que le mal, et certains proposent qu’ils se retirent. Beau dilemme pour Obama et son successeur.)

Une grosse partie des auteurs d’attentats-suicide sont des jeunes, où une cause, les effets de groupe, la camaraderie, la promesse de gloire sont importants (et ce sont même des éléments de cohésion majeurs de toutes les armées régulières !), et les promesses des vierges au Paradis comptent moins que le statut et le prestige social qui rejaillissent sur la famille d’un combattant tombé contre l’ennemi.

Mythe 2 : Les terroristes sont organisés

Il n’y a pas de réseau centralisé des conspirateurs contre l’Ouest. (Un tel réseau ne tiendrait pas face aux capacités de renseignements ennemies.). La mouvance terroriste est décentralisée, auto-organisée, et constituée de sous-réseaux complexes n’ayant rien à voir (clubs de sport locaux...).

(Ce qui, dirais-je, les condamne à un amateurisme éternel, même dangereux. Daesh ou les Talibans ne développeront jamais un État fort avec des infrastructures qui seront autant de cibles. Des groupes terroristes ne peuvent que végéter tapis dans une population, ou dans les zones de chaos comme l’Irak, la Syrie, la Lybie, ce qui ne les empêche pas de rester dangereux. Pour survivre, de tels groupes sont condamnés à évoluer vers une structure mafieuse, féodale, politique... où l’on revient dans le champ rationnel, avec des buts différents, une violence qui n’est plus une fin en soi, et d’autres moyens de pression.)

Mythe 3 : Les terroristes sont des génies du mal

Le 11 septembre est un plan bien organisé mais une exception (dans le contexte des attentats sur le sol américain). La plupart du temps, une fois la tête neutralisée ou loin du réseau principal, ne restent que des « imbéciles incompétents ». Michael Shermer énonce quelques exemples de plans lamentablement ratés aux États-Unis. Même à Boston, les frères Tsarnaev n’avaient rien planifié.

(Et l’attentat de Nice est un nouvel exemple de pauvre type solitaire utilisant une technique tout ce qu’il y a de plus basique et low-cost. On pourrait citer aussi la mode palestinienne des attentats au couteau à l’aveugle, le degré zéro du machiavélisme — plutôt du désespoir.)

Mythe 4 : Les terroristes sont pauvres et sans éducation

Non, il ne suffit pas de leur payer des écoles pour que l’éducation fasse de tout le monde des pacifistes. Les terroristes proviennent au contraire plutôt des couches moyennes sinon aisées (cf 11 septembre, Londres...). La pauvreté n’a pas grand-chose à voir avec le terrorisme.

(Pourtant, on retrouve souvent le prototype de la petite frappe qui se trouve un but dans la vie en virant djihadiste. Cela ne veut pas dire que ce sont des crétins incultes. Mais Shermer se concentre surtout sur les États-Unis, où le vivier des djihadistes locaux est bien différent de l’européen.)

Mythe 5 : Le terrorisme est une menace mortelle

Comparé à tous les homicides commis aux États-Unis, le terrorisme relève du « bruit statistique », même en tenant compte du 11 septembre.

(Le contre-exemple serait la Norvège, où un terroriste (d’extrême-droite cette fois) a fait exploser les statistiques des meurtres en un seul massacre — mais la Norvège n’a rien à voir avec les États-Unis. En tout cas, les pertes humaines et matérielles terroristes sont d’un ou deux ordres de grandeur inférieures par rapport aux 1000 homicides volontaires, 10 000 suicides ou 5000 morts par accident de la route annuels en France. Évidemment, c’est en partie parce que les forces de l’ordre cherchent activement les terroristes. Mais nous avons toujours tendance à surestimer un danger effrayant par rapport aux simples accidents.)

Mythe 6 : Les terroristes vont obtenir une bombe nucléaire ou une bombe « sale »

Construire une bombe atomique est très complexe et rien n’indique que des terroristes aient réellement essayé. Les sources radioactives sont tracées, et celles perdues ne représentent pas de danger à cette échelle-là.

Mythe 7 : Le terrorisme fonctionne

Shermer cite une étude de 42 groupes terroristes sur plusieurs décennies : seuls le Hezbollah au Sud Liban et les Tigres tamouls sont parvenus à établir un pouvoir durable. (Peut-on ajouter Daesh, qui a construit un embryon d’État, même si son avenir est sérieusement compromis ?)

Les prises d’otage et meurtres de prisonniers entraînent des réponses violentes de la part des opinions publiques et des États — or il faudra bien finir par négocier avec eux un jour. Les exigences des terroristes étudiés (du moins ceux à l’ancienne, voir plus bas) sont en fait rarement politiques, ils veulent plus souvent de l’argent ou libérer un prisonnier.

Les démocraties encaissent mieux le terrorisme malgré leurs lois moins sécuritaires, car elles s’interdisent les contre-mesures disproportionnées. Les résultats des terroristes sont en général nuls, rarissimes sont ceux qui obtiennent des résultats politiques. Les mouvements disparaissent généralement en quelques années.

(Il faudrait lire How Terrorism End, le livre cité, peut-être aborde-t-il le thème central de la définition de terrorisme, notamment par les vainqueurs. Pétain nommait « terroristes » nos Résistants (qui n’ont rien réussi seuls d’ailleurs) ; Assad appelle terroristes ses opposants, qui ne se définissent pas comme tels et la mention n'arrivera pas dans les livres d’histoire locaux s’ils arrivent au pouvoir ; Poutine nomme terroristes les Tchétchènes qui s’opposent au pouvoir russe, dont certains se sont effectivement rabattus sur le terrorisme ; en Afghanistan comme en Irak la guerre a également une dimension nationaliste ou ethnique, il n’y a pas que l’influence des émules de Ben Laden. D’ailleurs la CIA ne devait pas cataloguer Ben Laden « terroriste » à l’époque où il attaquait l’armée soviétique. La composante terroriste n’est parfois qu’un élément d’un mouvement plus vaste mais pacifique, et la puissance dominante a souvent un gros intérêt à confondre les extrémistes avec l’« adversaire » classique. On retrouve le bon vieux phénomène qui consiste à se débarrasser des bonnes volontés chez soi comme chez l’adversaire pour ne garder que des épouvantails.

Ajoutons que l’article Apocalypse soon de Phil Torres dans le dernier Skeptic s’étend sur la mutation des motivations terroristes : autrefois nationalistes ou mafieuses comme le décrit Shermer, elles sont en train de changer vers un extrémisme à visée apocalyptique, typique des sociétés en changement brutal, visant à restaurer un monde parfait, en détruisant l’actuel : tuer n’est plus un moyen pour une fin mais le but en soi. Et l’article avance que cela ira en empirant vu l’explosion démographique et les avancées technologiques.

Tout ça pour dire que ce point « le terrorisme ne fonctionne pas » se base sur une mentalité qui n’est plus celle de l’étude citée. Non que je crois que le terrorisme actuel puisse marcher à long terme directement. Indirectement, il fait des ravages sur le niveau intellectuel du politique moyen aux États-Unis ou en France...)

Voir aussi : la stratégie de la mouche