Les chiffres indiens en terre d’Islam

Les Indiens ont inventé leurs chiffres avant le Vè siècle (donc pour nous, à l’époque où s’effritait l’Empire Romain d’Occident), mais l’Europe a attendu quasiment un millénaire avant de les utiliser massivement aussi.

Le premier maillon dans la chaîne de transmission a été le monde arabo-musulman. L’Empire bâti par Mahomet et ses successeurs, apparu dans les années 700, ne se réduisait pas qu’aux Arabes : il était l’héritier et la fusion de plusieurs civilisations avancées (mésopotamiennes, syrienne, perse, juive, grecque, romaine, etc.), et se trouvait en contact avec nombre d’autres (indienne bouddhiste ou hindou, chinoise, byzantine...).
L’âge d’or de la science orientale naquit du brassage, de la relecture, de la compilation, de la traduction et de l’approfondissement de toutes ces influences dans un empire relativement stabilisé et prospère, avec l’établissement d’une langue culturelle commune (l’arabe).
Une des contributions les plus importantes de ce monde fut la démonstration que la science n’était pas liée à une civilisation (grecque, perse...), mais pouvait être transmise à tous les peuples - conséquence des politiques d’assimilation et de relative tolérance, sans qui cet Empire apparu si rapidement n’aurait même pas pu perdurer.

Avant l’an 800, l’astronomie indienne, et par ricochet les techniques de calcul associées, parvinrent à la cour de Bagdad. Le grand mathématicien perse Al Khuwarizmi[1] décrivit ces méthodes dans un livre aux environs de 825. La planchette à calcul (recouverte de poussière, où l’on dessinait les chiffres) s’imposa. Cependant, des décennies après, certains maîtres préconisaient toujours d’enseigner aux scribes le calcul sur les doigts et les articulations plutôt que les techniques de calcul indiennes (manifestation de la crainte de fonctionnaires redoutant la démocratisation de leur savoir, mais aussi conservatisme culturel).

En n’hésitant pas à mélanger des méthodes, les Arabes ont su allier la rigueur et la systématisation grecque à l’aspect pratique hérité des Indiens. Astronomie et mathématiques firent d’énormes progrès à cette époque.

La forme des chiffres, d’abord copiée des graphies indiennes, évolua sous l’influence du style et des contraintes matérielles des copistes arabes (notamment par un changement d’orientation due à l’écriture sur rouleau de papyrus). Ces formes sont encore utilisées au Proche-Orient (۱ ۲ ۳ ۴ ۵ ۶ ۷ ۸ ۹ [2]).

Par le jeu du commerce, les Arabes occidentaux (Afrique du Nord, Espagne) adoptèrent aussi rapidement les chiffres indiens, mais ils adaptèrent le graphisme au style local et obtinrent une notation différente (dite « ghubar , « poussière »). C’est cette forme que les Occidentaux apprirent via l’Espagne musulmane.

Plan :
Partie 1 : Super-résumé
Partie 2 : Les premiers décomptes
Partie 3 : Les bases
Partie 4 : Le système sumérien
Partie 5 : Les systèmes égyptiens, chinois, alphabétiques
Partie 6 : Le système maya
Partie 7 : Le système indien
Partie 8 : Les chiffres indiens en terre d’Islam
Partie 9 : La difficile transmission à l’Occident chrétien
Partie 10 : L’impact des chiffres sur le développement mathématique
Partie 11 : La mécanisation
Partie 12 : Les calculateurs électriques et électroniques

Notes

[1] Son nom a donné « algorithme ».

[2] Symboles Unicode « arabo-hindi » codes 0660 à 0669.