La Guerre d’Espagne

La guerre civile y éclate en 1936 lorsque l’armée s’insurge contre le gouvernement républicain, après bien des mois de tension et d’attentats, et devant la crainte d’un coup de force communiste téléguidé par Staline. Canaris soutient Franco par anticommunisme, sans approuver les méthodes brutales et l’épuration impitoyable que le Caudillo applique par la suite. Le grand succès de Canaris est de pousser un Hitler dubitatif à soutenir la cause des nationalistes espagnols.

La première étape consiste à fournir à Franco les avions nécessaires pour franchir le détroit de Gibraltar. Sans cela, le général et son armée sont bloqués au Maroc espagnol ! Mussolini envoie quelques avions, mais Hitler hésite. Goering est contre, par peur d’envenimer les relations avec les Anglais et les Français, plutôt pro-républicains. Canaris explique qu’il est hors de question d’avoir une Espagne communiste, que les troubles se propageraient en France, et que Franco est l’homme de la situation, brillant, pragmatique et courageux — Canaris ne précise pas que Franco n’adhère pas aux thèses racistes des fascistes et nazis et que, farouchement patriote, il répugne à voir d’autres pays se mêler des affaires espagnoles.

Hitler se range aux arguments de Canaris et accepte d’envoyer des avions en Espagne. Le petit amiral devient également l’intermédiaire privilégié entre le IIIè Reich et l’Espagne franquiste.

Franco fait finalement passer son armée en Espagne grâce aux avions italiens et allemands. Cependant, sa conquête du pays se heurte aux fournitures d’armes russes et françaises, et aux milliers de volontaires venus rejoindre le camp républicain. Canaris informe Franco de l’étendue de ces fournitures, et le pousse à demander l’aide de Berlin. Et à Berlin, il défend la politique de conquête progressive de Franco, contre les nazis qui veulent des coups d’éclat.

En novembre 1936, la Légion Condor, corps aérien allemand combattant pour les franquistes, est fondée. Elle participe à tous les combats importants, et se déshonore à Guernica. Les services allemands jouent également le rôle d’intermédiaires dans les achats d’armements des nationalistes.

En 1937, Hitler ne souhaite pas une victoire totale et rapide de Franco ; que la tension persiste dans la région lui convient, il a les mains plus libres ailleurs : Mussolini, empêtré en Espagne, ne s’oppose pas à l’Anschluß et ne peut que se rapprocher du Reich. Cependant, la guerre civile espagnole s’achève en 1939, un peu trop tôt au goût d’Hitler.

Franco ne veut pas entrer en guerre

Fin 1940, après la chute de la France, Hitler cherche à étouffer l’Angleterre qui résiste toujours. Il pense donc logiquement à couper une des voies de communications vitales de l’Empire britannique vers l’Égypte et l’Inde, en s’en prenant à Gibraltar. Cependant, cela impose la collaboration d’un Franco devenu très prudent, et qui doute de l’ampleur de l’aide allemande à l’Espagne.

Canaris joue un double-jeu permanent, fournissant à Franco des arguments pour contrer Hitler, lequel l’a pourtant envoyé convaincre son ami d’entrer en guerre aux côtés de l’Axe ! Or Canaris, comme Franco, se fait moins d’illusions qu’Hitler sur une reddition britannique. Il faut gagner du temps.

Franco fait remarquer qu’au bord de la famine après la guerre civile, l’Espagne ne peut participer à la guerre sans aide allemande réellement massive dans tous les domaines ; il dit ne pas pouvoir résister à des représailles britanniques (notamment sur les Canaries) ou un blocus ; il exige en contrepartie de son entrée en guerre bien plus que Gibraltar, à savoir tout le Maroc et Oran — sachant qu’en promettant cela Hitler se brouillerait avec Pétain et surtout risquerait de voir basculer l’Empire français, non occupé, dans le gaullisme, éventuellement flotte comprise (cette flotte qui se sabordera à Toulon en 1942 lors de l’occupation de la zone libre).

Franco va finalement jusqu’à refuser le passage à des troupes allemandes vers Gibraltar, assurant que l’Espagne se défendrait le cas échéant — par fierté nationale. Canaris enfonce le clou en rapportant à ses chefs la situation économique catastrophique de l’Espagne.

Le rôle de Pétain

Pétain joue un rôle non négligeable dans cette affaire. Brissaud le dépeint fin 1940 comme un attentiste, strict neutraliste, qui négocie aussi bien avec les Allemands que les Anglais, tentant d’obtenir une place honorable pour la France, dans le respect des clauses de l’armistice. Il est notamment hors de question d’abandonner des parties de l’Empire ou de laisser les Allemands attaquer Gibraltar via le Maroc.

Renseigné indirectement par Canaris, Pétain s’allie quasiment à Franco pour tenir tête à Hitler. Le chancelier allemand cherche à faire basculer Pétain dans le camp anti-anglais, il ne peut donc pas le brusquer. Cela peut sembler hallucinant quelques semaines à peine après l’écrasante défaite française.

L’entrevue de Montoire reste en France comme la marque infâmante du début de la collaboration, mais pour Brissaud c’est quasiment le moment où Hitler a perdu Gibraltar voire la guerre ! Pétain résiste aux avances d’Hitler de l’aider à hâter la chute de l’Angleterre. Hitler comprend que Pétain ne l’aidera pas activement contre l’Angleterre. Canaris exulte.

C’est ce moment que choisit Mussolini pour attaquer la Grèce - l’aventure tourne au désastre. Après bien de nouveaux atermoiements d’un Franco soutenu par Canaris, Hitler abandonne l’idée de prendre Gibraltar et se tourne donc vers les Balkans, puis la Russie.

Le débarquement allié en Afrique du Nord

Les Alliés lancent l’Opération Torch fin 1942. L’Abwehr en a vent quelques jours par avance, grâce à, selon Brissaud, le sultan marocain Mohammed V ! En fait, les nationalistes marocains font monter les enchères entre les Alliés et leurs ennemis pour tenter d’arracher l’indépendance de leur pays. C’est de bonne guerre... (De même, selon Brissaud, Habib Bourguiba agit comme soutien tunisien des Allemands...)

Avertis, Keitel et Hitler n’avaient pas cru à l’opération... En représailles, l’Allemagne envahit la France libre. Comme Canaris l’a prévu, la flotte française ne se joint pas aux Allemands et se saborde à Toulon, alors qu’elle aurait pu faire la différence en Méditerranée. Hitler reparle d’envahir l’Espagne, il pense que les Alliés la menace. Canaris pousse les Espagnols à réaffirmer leur intention de défendre leur pays, et leur accord de rejoindre l’Axe sous des conditions assez hallucinantes. Hitler laisse définitivement tomber l’Espagne.

À suivre...