Un traître ?

Comme tous les membres de la résistance allemande, Canaris cherche à protéger l’Allemagne des délires d’Hitler. Mais tous se posent la même question à un degré ou un autre : est-ce trahir l’Allemagne que s’attaquer à Hitler ? Est-ce trahir que contacter les Alliés pour leur fournir des informations qui coûteront des vies allemandes ? Est-ce trahir que de chercher à éliminer les mauvais maîtres de l’Allemagne pour obtenir les conditions de paix les moins mauvaises ? Il fallait choisir entre l’État nazi et la Patrie allemande. Canaris ne veut pas démissionner car il sait qu’après lui viendrait Heydrich.

J’ai évoqué l’an dernier Fritz Kolbe, ce fonctionnaire qui décide que la trahison est la meilleure solution, et renseigne la CIA, allant jusqu’à désigner des cibles et proposer de servir de guide à une attaque alliée sur Berlin. De même, des amis et subordonnés de Canaris avertissent les Alliés des attaques qui vont avoir lieu. Les mêmes ou d’autres (Hans Oster et Hans von Dohnanyi notamment) fomentent des attentats. Canaris a des antennes jusque dans les SS des Sonderkommandos, notamment Arthur von Nebe.

Canaris, patriote et sans doute aussi nationaliste que l’Allemand moyen de son époque, mais sans aucune affinité avec les nazis, et encore moins avec les SS, n’a pas à strictement parler (trop) trahi. Ses dossiers cherchent à dénoncer les excès criminels du régime. Toutes ses manœuvres vers l’extérieur visent (vainement, sauf en Espagne) à réduire l’extension de la guerre. Il sauve quelques têtes grâce aux moyens de l’Abwehr, une goutte d’eau face à l’océan des crimes nazis. Mais comme tant des généraux qu’il n’arrive pas à rallier, il répugne à aller jusqu’à tuer Hitler, même s’il couvre Oster et bien d’autres, et participerait bien à un coup d’État. La mise en place des camps de la mort le fait changer d’avis mais il ne participe aux tentatives.

Oster et quelques autres ont moins de scrupules à tenter d’assassiner Hitler ou de mettre en danger leurs compatriotes : mieux vaut une défaite rapide pour sauver les meubles que la catastrophe où les mène Hitler.

Canaris, ses amis et ses services trempent cependant successivement dans de nombreuses machinations contre le régime hitlérien :

  • En 1938, Canaris fait partie d’une conspiration qui réprouve les excès nazis et craint le résultat de la guerre qui s’annonce. Le général Beck, totalement opposé à une agression de la Tchécoslovaquie, est pressenti pour prendre la tête d’un coup d’État. Les motivations ne sont pas forcément très démocratiques : le mépris d’Hitler pour les généraux et la crainte de la main-mise du Parti sur l’armée jouent beaucoup.

    Cependant, les succès d’Hitler, qui n’a pas besoin de tirer une cartouche pour arriver à ses fins, le soutien évident des jeunes officiers au régime, l’indécision des généraux et le désintérêt de Londres, qui préfère négocier avec Hitler, font capoter l’affaire définitivement. Canaris perd alors ses illusions sur le contre-pouvoir que peut représenter l’armée, et le prestige accumulé par le Führer rend toute autre tentative illusoire.
  • En 1942, Donhanyi, Oster et d’autres contactent les Anglais via la Suède pour tâter le soutien anglais à la conspiration de Beck et autres : quelle aide obtiendraient-ils ? quelles conditions de paix les Alliés feraient-ils à l’Allemagne ? Les Britanniques, méfiants, adoptent le « wait and see » — les conspirateurs devront passer à l’action pour devenir crédibles.
  • En 1943, le général von Tresckow et quelques complices, dont von Donahnyi, placent une bombe dans l’avion du Führer. Elle n’explose pas.
  • En 1944, Beck est à nouveau partie prenante du célèbre complot du 20 juillet 1944. Canaris désapprouve l’opération sur le principe de l’assassinat comme sur le but. De plus il pense qu’il est déjà trop tard pour sauver l’Allemagne.

    La bombe de von Stauffenberg ne fait que blesser Hitler. La répression est féroce et la plupart des conjurés sont rapidement exécutés ou se suicident (Beck, von Tresckow, Rommel, von Nebe...).

À suivre...