Décernés annuellement par le très sérieux magazine Annals of Improbable Research, les prix Ig Nobel récompensent, dans des catégories variant chaque année, des recherches qui ne peuvent ou ne doivent pas être reproduites (officiellement), et (officieusement) des recherches qui font rire certes, mais aussi penser.

Parce que mine de rien, il y a une morale derrière la plupart des prix décernés. Beaucoup récompensent des sujets rigolos, mais qui dans certains contextes sont tout à fait sérieux, par exemple le Prix Ig Nobel 1996 de Biologie décerné à des recherches sur la stimulation de l’appétit des sangsues avec de la bière, de l’ail... L’échec de la démonstration d’un effet stimulant intéressera certains chirurgiens qui utilisent ces petites bêtes !

Dans la même catégorie, je citerai encore l’Ig Nobel 2000 de Médecine qui couronne une étude par IRM des organes humains pendant l’accouplement (les obstacles matériels à l’étude ne furent rien à côté des administratifs), avec découvertes à la clé. Ou encore le prix de la même catégorie de l’année suivante sur les blessures engendrées par la chute de noix de coco en Papouasie-Nouvelle Guinée (ne riez pas, des gens en meurent).

Certaines recherches sont carrément des découvertes fondamentales, dont on pouvait se douter parfois, mais il fallait le démontrer : l’Ig Nobel 2000 de Psychologie a été décerné à des Américains qui ont montré que les gens incompétents sont justement les moins bien placés pour se savoir incompétents, et sont justement ceux qui se surestiment le plus. Ce qui explique bien des choses sur la bêtise humaine...

D’autres prix sont ironiquement politiques — comme celui de la Paix décernés à Jacques Chirac, pour avoir fêté le 50è anniversaire d’Hiroshima avec la reprise d’essais nucléaires dans le Pacifique, ou encore le Prix 2002 d’Économie à Enron et bien d’autres pour leur découverte des nombres imaginaires dans leur comptabilité. Ou, au deuxième degré, celui de Technologie attribué en 2001 à celui qui parvint à breveter la roue en Australie. Ou encore le prix attribué à un ancien Vice-Président américain au QI digne de W.

Les Prix honorent aussi de doux dingues au grand sérieux scientifique, par exemple le père de la centrifugeuse pour aider les parturientes à accoucher (prix 1999 de la Santé), ou le créateur de la combinaison anti-grizzlys (Ig Nobel 1998 de Sécurité).

Par contre, la dernière catégorie se fiche ouvertement d’égarés très loin de la science « officielle », dont personne n’arrive à reproduire les résultats hautement surprenants, comme Louis Kervran et sa fusion froide in vivo ou Jacques Benveniste et sa mémoire de l’eau (ce dernier a même reçu un deuxième Ig Nobel de Chimie pour prétendre transmettre cette mémoire par Internet) ; ou encore de vrais escrocs et cinglés complets : l’Ig Nobel de Biologie 1992 a été attribué a un médecin qui, entre autres, inséminait des femmes avec son propre sperme au lieu de donneurs anonymes.

Nombre de lauréats des prix se sont déplacés à leurs frais pour accepter le prix, ou ont envoyé un message. D’autres n’ont pas eu cette sportivité, ou « avaient d’autres engagements » (parfois de la taule).

Et évidemment je termine en citant mon prix préféré, celui de Physique en 1996 décerné au génial Robert Matthews, pour son étude de la Loi de Murphy dans le cadre de la chute de la Tartine Beurrée (résumé ici, voir aussi le Pour la Science n°234 d’avril 1997). Cet article conclue que le beurre est négligeable, et que la rotation partielle de la tartine est inévitable pour des raisons qui tiennent à la structure fondamentale de l’Univers : celui-ci nous est donc fondamentalement hostile.

Ce petit livre paru en 2002 recense de nombreux prix décernés jusqu’à cette date, mais pas ceux d’après hélas. Le ton est délicieusement pince-sans-rire et ironique.