Destremau analyse bien comment l’organisation alliée traitait ce sujet. « Bomber Harris » avait la haute main sur les opérations, de manière très (trop) autonome. Destremau dédouane par contre en partie Churchill en expliquant sa décision d’affecter puis maintenir autant de ressources au bombardement : jusqu’en 1944, le second front réclamé perpétuellement par Staline ne pouvait réellement se concrétiser, et les bombardements stratégiques semblaient la seule action d’ampleur possible — malgré le scepticisme constant du Premier Ministre (il manquait de témoignages de première main). Plus tard dans la guerre, changer de stratégie aurait été très coûteux et politiquement désastreux. Harris, populaire, ne pouvait être renvoyé, et il préférait attaquer les villes plutôt que les infrastructures. Là encore, tout argument pour le contrer aurait impliqué d’élargir le cercle des gens au courant des succès du décodage d’Enigma...

Terrible aussi l’incertitude des analystes britanniques sur les effets de leurs bombardements : les photos aériennes ne révèlaient pas tout, et l’ampleur des destructions menait à de longs débats. Pour Harris, les photos sous-estimaient les destructions et l’atteinte au moral des populations ; ainsi les bombardements, élevés au rang de science, suffiraient seuls à mettre à genoux l’Allemagne. Bletchley Park par contre s’intéressait aux comptes rendus des ambassadeurs sur les destructions à Hambourg ou Berlin, ou aux messages des services de secours allemands.

En résumé : Harris avait partiellement raison, puisque les destructions, effroyables, ont jeté à la rue des millions de civils allemands, sans compter les nombreuses victimes. Mais l’industrie allemande, sauf tout à la fin, ne s’est pas arrêtée pour autant. Pire, l’effet moral a été exactement inverse, l’Allemagne s’organisant extrêmement bien dans la mise en place des secours, et l’organisation de la solidarité envers les victimes, sans compter la propagande (celle-ci hésitant sur l’ampleur des destructions à révéler, puisque cela aussi était analysé à Londres ; le rôle de Goebbels fut essentiel). L’effet contre-productif sur le moral aurait pu être deviné, puisque les Londoniens avaient été dans la situation exactement inverse quelques mois auparavant...

Plus que par les bombes, le moral des Berlinois s’effrita quand les bombardiers alliés attaquèrent presque impunément, de jour (la chasse alliée d’escorte gagnait en rayon d’action ; puis elle put décoller de France). Vers la fin de la guerre, les ambassadeurs notaient toutefois le stoïcisme des Allemands, mais aussi leur résignation et leur attente de la défaite : ils savaient que les conditions de paix seraient dures.

La désinvolture avec laquelle les Britanniques ont mené ces bombardements, terriblement meurtriers et aussi coûteux en ressources comme en hommes aux Alliés, sans effets vraiment mesurables, laisse pantois. Si les attaques aériennes ont joué un rôle capital pendant la guerre, ce fut d’abord en épuisant la Luftwaffe dans ce deuxième front au-dessus du Reich.

Destremau termine sur une remarque très pertinente : sans ces bombardements, comment auraient résisté les Allemands à la fin de la guerre ? (Et, ajouterai-je, auraient-ils ensuite été aussi vaccinés de la guerre qu’ils le sont devenus ?)

1-Résumé
2-Barbarossa
3-Pearl Harbor
4-Vichy
5-La solution finale
6-L’assassinat de Hitler
7-Le bombardement de l’Allemagne
8-L’agonie du Reich
9-La bombe atomique