C’est encore pire dans certaines zones géographiques comme cette gigantesque steppe qui va de l’Ukraine au nord de la Chine, de la Sibérie à l’Afghanistan, bourrée de peuples nomades mal définis, aux noms parfois imprononçables, et dont la civilisation tournait autour du cheval. Pourtant certains des plus grands bouleversements mondiaux viennent de là, et les ethnies et les empires issus plus ou moins directement des steppes sont légion : les Huns, les Mongols de Gengis Khan, les Magyars (devenus hongrois), les Turcs (les actuels ne sont que les descendants d’une des innombrables ethnies), les Bulgares (qui sont à la Bulgarie actuelle ce que les Francs sont à la France, un nom sur un substrat presque intact)…

Les Khazars ? Personne ne connaît. Et pourtant, entre 600 et 1000, ils ont fondé un Empire respectable dans la Caucase et le sud de la Russie et de l’Ukraine actuelles, tenu en respect des Arabes partis à la conquête du monde, ainsi que les Byzantins. Ces guerriers fondaient leur richesse sur le racket du commerce entre Danube, Mer Noire, Caspienne, Don et Dniepr, et multipliaient les peuples clients autonomes mais payant tribut.

Une caractéristique les distingue : les Khazars étaient juifs. Loin d’être une tribu perdue d’Israël, ils sont plutôt un des rares exemples de conversion au judaïsme de peuples païens. La cause en semble purement politique : frontalier à la fois de Byzance et du Califat, l’Empire khazar ne pouvait se permettre d’adopter le christianisme ou l’Islam et ainsi se placer sous la sujétion indirecte de l’un ou l’autre.

L’étendue de la conversion des Khazars fait encore débat. Il est possible qu’elle se soit limitée à la haute noblesse, le peuple et les tribus tributaires gardant le paganisme ou se convertissant au deux autres religions monothéistes. Au final, la société khazare s’est en tout cas montrée très tolérante, les différentes religions cohabitant dans ses villes (chose extrêmement rare en cette époque de prosélytisme massif des deux côtés).

Originellement soumis à l’Empire turqüte[1], les Khazars profitèrent de la destruction de ce dernier par les Chinois pour affirmer leur indépendance puis soumettre les peuples voisins... du Caucase au Danube !

Peu à peu, les fiers cavaliers se sédentarisèrent, fondèrent leur sécurité de plus en plus sur des mercenaires (Turcs...). Ainsi, leur puissance militaire s’effrita, les peuples tributaires devenant de plus en plus remuants. Ce ne fut ni Byzance ni le Califat qui eut raison des Khazars, mais une nouvelle puissance émergente, encore païenne, la Rus’ du prince Sviatoslav de Kiev, précurseur direct de la Russie.

Qui sont les descendants actuels des Khazars ? On trouvera certes quelques tribus peu connues du Caucase ; mais certains ont, un peu rapidement, imaginé que les Juifs des pays de l’Est, les Ashkénazes (soit la majorité des Juifs actuels !) descendent des Khazars. La théorie est hardie, probablement fausse.

Un chapitre s’étend sur le rôle de l’histoire khazare dans la politique soviétique : sous Staline, montrer qu’un grand peuple asiatique avait participé à l’histoire russe n’était pas spécialement bien vu, en pleine période d’instrumentalisation du nationalisme russe puis d’antisémitisme latent.

Au final, un livre intéressant, en partie grâce à l’exotisme né de l’évocation de peuples à peu près inconnus dans nos contrées : Bulgares Noirs, Petchenègues, Ossètes (Alains)...

Note

[1] Oui, moi aussi j’ignorais son existence jusque là.