Les deux tiers du livre traitent de Staline, maître du pays de 1924 à 1953, du pouvoir totalitaire, de la terreur, héritée de Lénine et amplifiée, qu’il infligea à son peuple — deux fois (déjà avant la guerre, puis à nouveau celle-ci terminée : la sanglante Seconde Guerre Mondiale paraît paradoxalement une époque de liberté pour les Soviétiques !), et de la permanence de certaines tendances de l’histoire russe, notamment le besoin d’un pouvoir central fort.

Le parallèle entre Ivan le Terrible et Staline ne date pas d’hier : le Tsar Rouge lui-même voyait dans la lutte impitoyable d’Ivan IV contre les boyards le parallèle avec son propre besoin d’éliminer toute opposition — jusqu’à l’absurde, jusque dans sa propre famille ! La mécanique de terreur stalinienne, basée sur l’espionnage généralisé, la responsabilité collective, le changement permanent de la Ligne, est bien démontée.

Quasiment en aparté, Fédorovski parle de Boris Pasternak, Prix Nobel de littérature 1958 et connu en Occident notamment pour le Docteur Jivago[1] — on saura tout sur les amours du poète, et notamment qui est Lara. Bizarrement, Pasternak a été plutôt protégé par Staline.

Même si Poutine partage la couverture avec son sinistre prédécesseur, il n’est question de lui qu’à la toute fin du livre, après que Fédorovski ait déroulé la manière dont le système totalitaire soviétique (sous une forme bien moins sanglante) s’est perpétué sous Khroutchev, Brejnev, Andropov, comment il a tenté de se réformer sans lâcher son emprise, comment il a échoué. Remarquable aussi la manière dont les services secrets (outil sous Staline, entité autonome sous Andropov, quasiment indépendante par la suite) se sont retrouvés les seuls en mesure de reprendre le contrôle d’une Russie en décomposition, que Gorbatchev et Eltsine ont laissé être dépecée par des groupes financiers et mafieux.

Vladimir Poutine — un inconnu au départ, choisi par un Eltsine finissant comme héritier pour garantir la survie de son clan — faisait partie de l’élite de la Russie soviétique, destinée forcément au KGB. Ses contacts lui ont permis de reprendre le contrôle de son pays, et de surfer entre les différents clans qui se le partagent. Comme Staline, il sait parler à la fameuse « âme » de la Russie, à son nationalisme, son besoin de grandeur, son impression d’être différente, ni européenne ni asiatique. Comme Staline, les dérives sont effrayantes.

Un grand résumé d’histoire russe du XXè siècle, très accessible.

Note

[1] Je n’ai pas (encore) lu le livre mais vous devez voir le film si ce n’est déjà fait. Une bonne impression du chaos de la Guerre civile de 1918-21.