Dans la SF française, qui ne s’appelait pas encore comme cela en 1942, c’est un classique et la première œuvre d’un de nos plus grands auteurs. Mais noyés dans les odeurs de cendres surnagent quelques relents un peu nauséabonds. C’est une des difficultés des anciens livres : discerner ce qui vient de l’air de son temps, ce qui est deuxième degré, et ce qui est vrai choix de l’auteur.
Dans le Paris de 2052, tel qu’imaginé juste avant-guerre, l’électricité disparaît inexplicablement. Pendant que la civilisation s’écroule puis que le monde flambe, le jeune François sauve sa jeune, innocente, belle et naïve Blanche, puis monte une expédition pour rejoindre la région rurale isolée où ils ont grandi.
Comme dans toute anticipation dont la date est dépassée ou proche, certaines pages font sourire. La nourriture ne provient que de la synthèse chimique, personne ne sait plus à quoi ressemble un poulet, mais les ouvriers meurent toujours à 50 ans à cause de la dureté de l’usine. Le « plastec » omniprésent n’est pas si loin de la réalité actuelle, et les trains à haute vitesse sillonnent l’Eurasie, mais les avions ne semblent pas voler plus loin qu’en 1939. Le téléphone est en 3D mais il faut toujours se déplacer dans la pièce où il sonne. Les mœurs nous sembleront surannées : Blanche suit une école pour futures « mères d’élite » et elle obéit sans mot dire à son homme. Il est facile de se moquer après coup, je pense que mes éventuelles prédictions pour 2117 feraient rire mes descendants (voire moi-même ?).
La partie la plus intéressante reste la description de la société qui s’effondre, du chaos et des méthodes de survie. On a sans doute fait mieux dans le domaine depuis 1942, mais le passage des individus policés aux bandes barbares reste convaincant : un sage a bien dit que la différence entre la civilisation et la barbarie n’était que de quelques repas, et je le crois volontiers.
Par certains côtés Ravage m’a rappelé Malevil de Robert Merle : destruction totale, barbarie des survivants, héros reconstituant une bande.
Tout cela a d’ailleurs un avant-goût assez inquiétant : combien de temps durerait notre civilisation si l’électricité, pour une raison ou une autre, disparaissait pour longtemps à une échelle continentale ? Sommes-nous certains d’être à l’abri du danger ? Saurions-nous rester assez disciplinés et éviter le chaos ? Barjavel a peut-être été inspiré en partie par l’Exode, tout proche.
Le personnage de François fait froid dans le dos par son adaptation froide à la barbarie de la situation. C’est l’« homme providentiel » par excellence, le guide-né sans lequel les autres ne sont que moutons stupides, et contesté par personne. C’est par lui que l’on retrouve peut-être le pétainisme à la mode en 1942. Barjavel a certes travaillé pour Denoël qui était collaborationniste et publié chez lui, mais il y travaillait avant guerre ; et si Ravage cadrait dans la philosophie de Vichy, le reste de l’œuvre de Barjavel n’a rien à voir. On peut ne voir dans Ravage que méfiance envers un progrès incontrôlé et regret de la France rurale, comme encore parfois aujourd’hui ; ce qui ne veut pas dire que l’on souhaite la destruction de la société moderne. Doit-on voir dans le chapitre final une apologie du bonheur par l’obscurantisme, ou un avertissement ? C’est sur cette grosse ambiguïté que se finit le livre. Même si le futur de cette société, entrevu dans le Voyageur imprudent paru peu après, ne fait pas rêver.
3 réactions
1 De Le Monolecte - 23/01/2017, 00:23
Barjavel a écrit une flopée de bouquins de SF vraiment bien foutu, dont La nuit des temps qui est mon préféré.
Ta question sur la chute électrique de notre civilisation, cela fait un bon moment que je me la pose. Je te conseille le très bon film "The Mist" — certes version horrifique — mais qui décrit avec une précision glaçante à quelle vitesse la barbarie prend le dessus dès que le vernis de la civilisation s'écaille.
Sinon, in vivo, j'ai vécu les conséquences direct du black out de la tempête Klaus et cela m'a permis de mesurer à quel point notre mode de vie entier reposait sur très peu de choses : http://blog.monolecte.fr/tag/klaus
2 De Balise - 23/01/2017, 06:58
Je sens que je vais relire Ravage cette année, moi. Mon exemplaire poche qui m'a été offert il y a 23 ans (et qui a été lu moult fois depuis) fait partie des rares qui ont pas fini dans un carton en bas... parce que c'eût été vraiment trop ironique de pas pouvoir lire Ravage sur autre chose que des électrons :P
3 De Le webmestre - 23/01/2017, 09:00
@Monolecte : oui, j’adore la Nuit des Temps aussi. Apocalyptique aussi...
Dans la même registre que The Mist, il y a The Walking Dead (je n’ai lu que la BD). Mais je me demande si avec ces livres nous ne nous faisons pas peur. Et les deux cas supposent une disparition complète de toute autorité centrale, et aucune assistance étrangère, il y a tant de scénarios intermédiaires...
@Balise : malgré ses limites, c’est un classique à lire. Plus rapide que bien d’autres classiques immortels :-) Mon exemplaire date du collège et affiche vaillamment ses trente ans. Mais tu trouves très facilement le PDF de Ravage au pire...