Ypres, Les Dardanelles, Verdun, la Somme, le Chemin des Dames… Il y eut tant de boucheries en 14-18 qu'on les confond. Ce livre de 1997 s'étend sur tout le déroulé de la dernière grande offensive française, en 1917, au nom devenu tristement célèbre. Résumé.

Pierre Miquel : Le Chemin des Dames, Perrin 1997 La légende dit que les « dames » de ce chemin entre Reims, Soissons et Laon, étaient les filles de Louis XV, allant rendre visite à une ancienne maîtresse de leur père. En 1917, la ligne de front s'y était établie, sur une crête entre les vallées de l'Aisne au sud, et l'Ailette au nord. Le 16 avril 1917, le général Nivelle y lance une offensive massive, brusque, préparée depuis des mois et destinée à rompre le front jusque Laon. Au bout de quelques heures, il est clair que c'est un échec. Ce demi-succès (en étant gentil) ne vaut pas les 300 000 morts et blessés dans les deux camps.

Il serait facile d'accuser les généraux de l'époque de pure incompétence. Joffre avait été remplacé par Nivelle, artilleur ayant appliqué là-bas de nouvelles techniques qui font de lui le vrai vainqueur de Verdun. Quand il présente son plan d'offensive majeure, des résistances se font bien jour. On ne veut pas d'une nouvelle attaque qui s'enlise des mois pour rien comme sur la Somme. Pétain préférerait faire le gros dos en attendant les Américains et des chars en quantité. Chez les Britanniques, Haig renâcle, se fait tirer l'oreille pour lancer une attaque simultanée, mais Lloyd George approuve l'idée. Pierre Miquel passe beaucoup de temps sur le côté politique français. En arrière-plan : dans quelle mesure le Parlement doit-il s'occuper des opérations ? Faut-il risquer tout de suite une nouvelle attaque ou attendre, au risque que les Allemands se renforcent ? Faut-il envoyer des renforts aux Italiens ? Peut-on encore se fier au nouveau gouvernement russe après la Révolution de Février ? Que penser des ouvertures de paix du nouvel Empereur d'Autriche, Charles ?

Nivelle a le malheur d'être trop persuasif. Il mise sur la préparation d'artillerie massive, et la rapidité d'exécution. Il a tout planifié : préparation massive, déplacement précis et rapide de l'artillerie derrière l'infanterie pour s'attaquer tout de suite à l'artillerie ennemie, aux secondes lignes, et éviter l'arrivée de renforts, l'arrivée d'armées entières. Pour être prêt, la date d'attaque a été repoussée plusieurs fois. Sur le papier, c'était parfait.

Et comme tout plan parfait, la confrontation avec la réalité est cruelle. Les avions français, surclassés par les Allemands, ne peuvent aider à régler l'artillerie autant que prévu. Des munitions manquent. Les tanks sont moins nombreux que voulu, et moins fiables que prévu. Le temps n'est pas de la partie : il neige, alors que les unités d'élites coloniales engagées ne sont pas supposées combattre en conditions hivernales. Les Allemands ont profité du réseau de cavernes sous la crête pour en faire des abris, créer un réseau souterrain invisible de l'ennemi, monter des tourelles bétonnées que les canons français ne peuvent détruire. Malgré la préparation d'artillerie, les Français se retrouvent face à de nombreux nids de mitrailleuses, apparus parfois dans leur dos. Pire : les Allemands ont deviné ce qui allait se passer, ils ont amené de nombreuses réserves.

Nivelle n'a pas tenu compte des signaux qui auraient permis de prévoir tout cela (de petites attaques avaient échoué, des plans avaient été perdus). Il était cependant délicat de tout annuler au dernier moment, quand des centaines de milliers d'hommes ont été déplacés, sont prêts, et attendent sous la pluie.

L'offensive n'atteint pas ses objectifs du premier jour, loin de là, ni le lendemain. Malgré la promesse initiale d'arrêter très vite les frais si le succès n'était pas au rendez-vous, d'autres offensives suivent pendant un certain temps. Le gain final n'est pas totalement négligeable : des observatoires d'artillerie, une partie du Chemin des Dames enlevé, de lourdes pertes infligées aux Allemands, un nombre énorme de prisonniers… mais à un coût hallucinant.

Avant la bataille, le moral des troupes est élevé. Mais le Chemin des Dames marque le début des mutineries, du refus de bien des Poilus de partir à l'attaque sans aucune chance de vaincre. Le gouvernement se persuade que les pacifistes de l'arrière contaminent les soldats, alors qu'il s'agit plutôt de l'inverse. Il faut lâcher du lest sur les permissions.

Nivelle est écarté. On pense à le juger, mais il faudrait aussi juger ceux qui l'ont nommé, lui ont demandé d'être offensif. Pétain prend sa place et se contente d'offensives très limitées sur quelques kilomètres, avec des moyens maximaux (la Malmaison, fin octobre 1917), sans trop de pertes mais sans grande conséquence stratégique.

En relisant mon arbre généalogique, j'ai réalisé que deux de mes arrière-grands-pères ont été blessés au Chemin des Dames, les deux en octobre 1917, dont l'un à la Malmaison. Il faut jeter un œil aux livrets militaires de ses ancêtres.