Je ne pensais pas un jour acheter un livre de poliorcétique, mais je résiste parfois difficilement aux impulsions chez mon libraire favori.
Le sujet est simple et compliqué à la fois : les fortifications à la frontière franco-allemandes de 1870 jusqu’à après la Seconde Guerre Mondiale. La ligne Maginot vient à l’esprit, mais aussi les forts de Verdun ou en face ceux de Metz... construits alors qu’elle était allemande. Certaines installations ont donc servi deux camps : les Allemands se sont aussi cassé les dents sur certaines parties de la ligne Maginot en juin 1940, qu’ils ont utilisée pour ralentir notablement les Américains à l’automne 1944 !
Les premiers chapitres traitent de l’évolution de ces forts. Les villes fortifiées à la Vauban étant dépassées, les fortifications éclatées assez éloignées des centres urbains deviennent à la mode, comme autour de Metz ou tout autour de Strasbourg. En France, cet ensemble est désigné sous le nom de Séré de Rivières. L’artillerie progressant à pas de géants après 1870 et la Première Guerre Mondiale, l’obsolescence est rapide : si les premiers ensembles ont de beaux frontons en pierre, par la suite les forts s’éloignent, se couvrent de béton, les communications s’enterrent, les tourelles se fondent dans le paysage, se terrent derrière de profondes meurtrières, voire s’éclipsent : Tourelle de 75R - Fort d'Uxegney près d’Épinal - Photo Thomas Bresson sur Wikipédia Commons Plan de manoeuvre de la tourelle de 75 mm du bloc 3 à Schoenenbourg - Association des Amis de la Ligne Maginot (AALMA) * CC BY-SA 2.0 fr, via Wikimedia Commons
Les désastres du début de la Première Guerre Mondiale semblent montrer l’inutilité de ces fortifications. L’auteur s’insurge : les Allemands sont passés par la Belgique justement à cause des forts entre Verdun et Belfort, et Verdun notamment a fixé de gros effectifs allemands pendant la bataille de la Marne. Le haut commandement français dégarnit pourtant ces bastions « inutiles » en hommes et en canons dont le manque se fait cruellement sentir ailleurs... ce qui facilite l’offensive allemande de 1916 sur Verdun. Les fortifications tiennent pourtant durablement quand elles sont bien équipées, et le coût pour l’assaillant en obus est délirant par rapport aux pertes (humaines) infligées au défenseur. La guerre de mouvements reprend en 1918, mais les forts allemands de Metz n’ont guère l’occasion de montrer leur efficacité avant l’armistice.
La France de l’entre-deux guerres, démographiquement exsangue, voit dans la ligne Maginot une protection efficace. Plus encore que pour les fortifications de 1914, tout est enterré ; les forts sont reliés par des tunnels et se soutiennent entre eux. Cette ligne, surtout, rompt avec le principe des grandes places, et court sur tout la frontière... sauf devant la Belgique [1]. La France vise le long terme : abritée derrière la ligne, il faut continuer le réarmement et laisser agir le blocus envers l’Allemagne, et n’attaquer que plus tard. Les généraux allemands aussi s’attendent à une guerre longue : le blitzkrieg, « acte de désespoir du niveau opérationnel pour sortir d’une situation désespérée au niveau stratégique », fruit du bluff de l’audace de bons généraux, monté en épingle par la propagande, se casse les dents sur la ligne Maginot quand la Wehrmacht l’attaque de front. Globalement, les forts ont tenu malgré un déluge de feu — certains sacrifiés pour préserver le symbole d’un mur infranchissable alors que les Allemands l’avaient déjà contourné. À l’armistice, trahison : les équipages invaincus partent en captivité, exigence allemande contre la menace d’occuper Lyon.
Là encore, la ligne Maginot a rempli sa mission, puisque l’agresseur a dû la contourner — conformément aux plans français. Au sud, la partie alpine de la ligne (non traitée ici) a bloqué toute progression italienne.
Quand Patton arrive sur la Moselle en 1944, il n’imagine pas que les fortifications de Metz (certains morceaux datent d’avant 1870 !) et d’autres parties de la ligne Maginot tenues par les Allemands vont lui poser un gros problème. Il faut plusieurs semaines, de nombreux morts et le recul du front en d’autres endroits pour que Metz tombe. Pendant ce temps, la Wehrmacht se replie en bon ordre. Là encore, les fortifications jouent leur rôle.
L’armée française conserve ce qui reste de ligne Maginot encore quelques années après la Seconde Guerre Mondiale, jusqu’à ce que la bombe atomique la rende inutile. Puis s’ensuit le démantèlement d’une grande partie des installations (vente aux enchères, ensevelissement, retour à la nature des abords...). Aujourd’hui, grâce aux associations locales, de bonnes parties peuvent encore se visiter. On en croise encore bien des fragments dans la campagne alsacienne quand on sait où chercher, et j’ai bien l’intention de visiter assez vite la forteresse allemande de Mutzig, celle de Metz, ou le fort de Schoenenbourg.
Note
[1] Les Belges ayant déclaré leur neutralité en 1936, un peu tard pour prolonger la ligne.
3 réactions
1 De vpo - 01/11/2015, 15:50
Etrange, quand on clique sur le renvoie depuis la page principale (et non depuis la page du billet), alors on est renvoyé non pas sur la note de bas de page mais sur la note du billet suivant (celui où tu parles Shariff).
Le lien depuis la page dédiée pointe bien vers Frontières-d-acier#wiki-footnote-1 alors que depuis la page principale, cela pointe vers index.php#wiki-footnote-1, qui elle est la 1e note du billet sur Shariff.
Pb de gestion de renvoie vers plusieurs listes numérotées sur une même page apparemment.
2 De Le webmestre - 01/11/2015, 16:09
@vpo: Bien vu ! Aucune idée de la manière de corriger le bug. Raison de plus pour désactiver l'affichage complet des billets à part le premier sur la page principale... Merci du retour.
3 De Vieuxgrognard - 22/08/2018, 15:52
Bonjour,
je suis surpris du passage sur la ligne Maginot qui aurait amené les Allemands à" se casser les dents" en 1940/ Il n'y a pas eu, à ma connaissance d'attaque directe de gros fort de la ligne Maginot en 1940 (mais bien que bon connaisseur de la "WW II" je n'ai pas d'ouvrages sur le sujet; Par ailleurs, les forts étaient de la même époque que Eben-Emaël qui est tombé avec une rapidité stupéfiante, les Allemands ayant, il est vrai, eu de la chance...
Le fait de dire que la ligne a rempli son rôle est à mon sens une erreur communément répétée, à ce que j'ai lu. Le but des fortifications permanentes, même lourdes, n'est jamais d'arrêter un ennemi qui peut toujours concentrer ses moyens, ce qui militairement donne toujours l'avantage à l'assaillant. Le bu d'une ligne fortifiée est de canaliser les attaques, qui doivent contourner la place, ou l'investir, ce qui est long et coûteux (Verdun en 1916 en est le parfait exemple, même si Douaumont ne remplit pas son rôle, ayant été désarmé pour permettre à l'armée française d'aligner quand même un peu d'artillerie lourde face à l'armée allemande d'alors, sujet un peu technique, mille pardons)
Le rôle est aussi de permettre une économie de moyens, ce qui justement ne se produit pas en 40: on a en réserve derrière la ligne Maginot en 1940 au moment de l'assaut allemand une bonne quarantaine de divisions. Elles ne servent à rien, et sont peu mobiles, et mal entraînées (les souvenirs d'un parlementaire servant dans un des meilleurs régiments de l'armée le 152 -je crois- de Metz sont clairs à ce sujet; Aucun exercice pendant la Sitzkrieg, ou drôle de guerre). Ce qui fait qu'aucune réserve n'est disponible pour contrer la percée allemande sur Sedan et Dinant. Le fait qu'à mon avis, la doctrine française et le manque d'initiative des officiers n'aurait de toute façon pas permis de battre la Wehrmacht de cette époque est un autre débat.
Par contre, dans "Offensive sur le Rhin" R. Bruge ,décrit le passage du Rhin par les Allemands, dans un secteur défendu par la Ligne Maginot justement, sans raconter de difficultés majeures (livre de 1977 je viens de vérifier);
Mais cela vaut le coup de se renseigner; Ou est la librairie qui propose de si bons ouvrages? Je suis en Alsace aussi, donc...
Pour résumer sur les avantages que devait procurer la ligne Maginot:
obligation de contourner, oui, mais ce n'est pas pour cela que les Allemands attaquent dans les Ardennes, c'est parce que le plan Manstein-Hitler prévoit non de refouler l'armée française ou franco-anglo-belge, mais de la tourner pour la détruire, ce qui amène le plan en deux phases, attaque sur la Belgique et la Hollande, amenant les meilleures forces alliées à entrer en Belgique, puis attaque dans les Ardennes pour les couper de leurs arrières; Tout n'a pas été anticipé par les Allemands, ils ont eu de la chance, et commis des fautes (Dunkerque) mais le plan est celui-ci, basé aussi sur le fait, j'en conviens que l'attaque directe à travers la ligne Maginot serait trop lente pour donner de bons résultats.
Canalisation de l'attaque et usure des assaillants, objectif évidemment raté.
Economie de moyens du défenseur, raté à cause de notre plan, et non d'une action ennemie;
amicalement.
T. B.