Quelques chapitres parle de la petite armée française, pas vraiment en bien. C’est un mélange instable de Français libres, d’unités de l’armée de Vichy de France ou d’Afrique du Nord ayant rejoint les Alliés parfois assez tard, de troupes nord-africaines aguerries, et d’anciens FFI courageux mais sans formation militaire. Le manque de matériel est complet et la dépendance envers les Américains totale. Son chef, https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_de_Lattre_de_Tassigny aura besoin d’eux pour réduire la poche de Colmar et ne semble pas vouloir ce qu’il veut en Forêt Noire et à Stuttgart. Leclerc et la 2è DB préféreront être sous les ordres d’un général américain.

Quant aux Russes, ils sont de l’autre côté, rouleau compresseur en train de broyer la Wehrmacht et de conquérir l’Europe de l’Est. Rappelons que pendant que les Occidentaux débarquaient en Normandie, il entamaient la reconquête de la Pologne (opération Bagration). Fin 1944, ils ont déjà entamé la conquête de terres allemandes.

Les généraux

Eisenhower le diplomate, Montgomery l’égocentrique... : tous sont alors connus, environnés de journalistes, et très conscients à l’époque d’écrire l’Histoire. Les rivalités plus ou moins sportives entre généraux s’ajoutent à la rivalité anglo-américaine : les calculs politiques en vue de l’après-guerre s’additionnent au besoin de gloriole et de prestige. Les auteurs sont assez critiques, et tout le monde au sommet en prend pour son grade.

Les moyens et les choix d’offensive sont en permanence arbitrés entre le front nord (anglo-canadien) et centre et sud (américain), et des unités américaines passent alternativement d’une armée à l’autre selon les besoins. S’ajoute le style : Montgomery aime préparer ses offensives et réclame toujours plus de forces ; les Américains ont plus de moyens, plus de chance aussi dans leurs adversaires (les dernières unités allemandes sont très inégales), et foncent volontiers.

Situation fin 1944 & plan de bataille

Fin 1944, après une difficile percée en Normandie, un débarquement en Provence, les armées alliées ont reconquis rapidement presque toute la France et la Belgique. La bataille des Ardennes en décembre 1944 est la dernière grande offensive de la Wehrmacht à l’Ouest, péniblement repoussée. Si celle-ci n’a ensuite plus les moyens de rééditer une telle opération, cela ne veut pas dire que la suite sera un chemin pavé de rose.

Le front début janvier 1945 suit à peu près les frontières allemandes de 1939. Au nord, les Allemands tiennent encore de gros morceaux des Pays-Bas, dont l’embouchure du Rhin. Au sud, la bataille continue en Alsace : Colmar et Rouffach sont encore occupés, et Wissembourg le redevient (l’opération Nordwind ramène la Wehrmacht jusque Haguenau).

La supériorité matérielle alliée est totale : chars, canons, avions, hommes, et aussi pétrole, à l’est comme à l’ouest. Dans les airs, la Luftwaffe use ses dernières réserves. La coordination interarmes alliée est rodée.

On a gardé l’image d’une armée alliée aux moyens inépuisables, mais ce moment est une crise. D’abord la logistique est cauchemardesque, mais cela s’arrangera quand le port d’Anvers sera à nouveau opérationnel. L’armée britannique est expérimentée mais l’Angleterre est épuisée et les effectifs manquent, il faut même dissoudre des divisions. Même l’armée américaine a des problèmes de remplacement : les pertes en France ont été plus importantes que prévues, et les troupes disponibles sont déjà toutes en ligne. Mais comme 13 % seulement des 2,7 millions d’hommes sont des troupes offensives, une réorganisation et l’embauche de civils pour certaines tâches permettra de parer au problème.

La météo est exécrable, avec un hiver rigoureux. Les périodes de redoux ne sont pas plus faciles, car la boue gêne les offensives d’ampleur et détruit les routes, parfois étroites. Pendant tout le livre revient le problème de faire passer des divisions entières par des chemins vite embourbés et saturés.

Le chemin pour la conquête de l’Allemagne n’est pas évident : des massifs montagneux comme l’Eifel sont difficiles à conquérir (les Américains s’y useront inutilement) ; des barrages permettent d’inonder des zones entières (autour de la Roer) ; la ligne Siegfried protège bien certains endroits ; la supériorité numérique n’est pas assez écrasante pour une attaque partout à la fois ; enfin les chemins faciles n’offrent pas de possibilité d’exploitation évidente vers des objectifs importants. Les raisons des choix stratégiques sont les parties les plus intéressantes du livre.

Assez vite se dégage l’idée qu’il vaut mieux conquérir toute la rive gauche du Rhin, et y détruire les dernières forces allemandes, avant de tenter de franchir le fleuve. La cible principale sera ensuite la Ruhr, poumon industriel de l’Allemagne.

Les auteurs s’attardent à décrire ce à quoi s’attendent les Allemands. Ils n’ont plus guère de réserves, mais n’abandonnent pas le terrain pour autant. Mais le renseignement est défaillant et la coordination des unités n’est plus ce qu’elle a été. Les ordres débiles d’Hitler de ne jamais reculer, fidèlement retransmis, parfois obéis, et la faible qualité des dernières recrues (trop jeunes, trop vieilles, inaptes...), en plus du manque de matériel et de carburant, obèrent toute initiative stratégique. Si beaucoup de divisions n’existent plus que sur le papier, quelques unités restent solides, le régime nazi tient le pays et punit de mort toute idée de reddition : la débandade générale n’interviendra qu’après le passage du Rhin.

L’Alsace

La poche de Colmar et plus globalement l’Alsace n’ont pas une grande importance stratégique, mais elles fixent beaucoup d’unités alliées. Au milieu d’un froid glacial, Français et Américains doivent d’abord repousser une attaque allemande (opération Nordwind) qui menace Strasbourg. Eisenhower prévoit même au début de l’abandonner avec tout le Bas-Rhin, à la fureur des Français. Il cède à la pression politique et fournit les troupes. Puis il faut reprendre Rouffach et Colmar, difficilement. L’armée allemande se retire par Brisach en bon ordre. Le front alsacien ne bougera plus avant le printemps.

La Rhénanie

Opération Veritable (source: US Army, Westpoint, via Wikipédia, domaine public)

C’est le 8 février, par Nimègue et l’extrême nord, qui a l’avantage d’être plat et dépourvu de cours d’eau, que démarre l’invasion de la Rhénanie par les Anglo-Canadiens (opération Veritable). Malgré une longue préparation, ils tombent sur des troupes allemandes de qualité et bien commandées, et l’avancée est très difficile.

Les Américains entrent un peu plus tard en lice au sud, depuis l’extrême sud de la Hollande. Ils auront auparavant eu du mal à sécuriser les barrages de la Roer, et seront ralentis par les inondations provoquées par les Allemands. La suite sera pour eux plus facile que pour les Anglais, et un rouleau compresseur impeccablement huilé se déploie sans anicroche jusqu’au Rhin et Düsseldorf.

Ces opérations détruisent en un mois les dernières capacités allemandes à l’ouest. Ce sont des unités très diminuées qui retraitent derrière le Rhin.

Les auteurs étudient la décision de ne pas profiter du succès pour franchir le Rhin tout de suite : sécuriser la tête de pont et mener l’exploitation aurait nécessité trop de troupes, sans compter la difficulté de batailles dans la zone urbaine de la Ruhr.

Remagen

Début mars, Patton profite de l’effondrement allemand pour sortir enfin du massif de l’Eifel, encore un peu plus au sud (opération Lumberjack), et border le Rhin jusqu’à la Moselle, Bonn et Coblence. La progression est si facile et rapide qu’un pont, par chance et incompétence allemande, tombe aux mains des Américains à Remagen. Ce n’est pas le meilleur endroit pour créer une tête de pont, mais Eisenhower donne l’autorisation de consolider la tête de pont. Le point de franchissement du Rhin n’a donc pas été planifié, les Alliés s’attendaient à ce que tous les ponts aient été détruits !

Les Allemands ont beau faire, ils ne repoussent pas la tête de pont américaine. L’impact n’est pas tant stratégique que psychologique : la Wehrmacht ne peut même plus espérer souffler un temps derrière le Rhin.

Sarre & Palatinat

Les Allemands sont encore au sud de la Rhénanie, à la frontière française, car évacuer ce saillant impliquerait de perdre le charbon de la Sarre. Les armées de Patton et Patch s’enfoncent facilement au nord de la Lorraine et du Bas-Rhin, si vite qu’elles se croisent involontairement (opération Undertone).

Le franchissement du Rhin

Franchissement du Rhin, 22-28 mars 1945, US Army, domaine public, via Wikipédia

La suite est une longue agonie pour les Allemands. La logistique de l’opération britannique au-dessus du Rhin, nommée Plunder, avec divisions aéroportées, est massive, même surdimensionnée. Les auteurs expliquent que les Anglo-Américains n’ont jamais eu de progression aisée, que Montgomery veut tirer la couverture médiatique à lui, et effacer son premier échec sur le Rhin à Arnhem en 1944.

En face, la plaine est défavorable à la défense. Si les effectifs allemands font encore illusion, il n’y a plus guère d’officiers expérimentés ni d’armes ni de munitions. Les Anglais doivent combattre mais leur organisation est impeccable et leur progression est rapide.

Les Américains de leur côté ne prennent aucun repos et, en plus de Remagen, franchissent le Rhin plus au sud également, et eux sans préparation, par un « coup de main » ! Patton veut là avoir un prétexte pour éviter de prêter des divisions à l’opération de Montgomery, et faire pièce au succès de ce dernier ; mais il a aussi raison de vouloir profiter d’une défense devenue presque inexistante. Mais par endroit les Allemands s’accrochent encore et les envahisseurs doivent être prudents.

Au final, la Ruhr finit encerclée par les deux armées le 3 avril. Le Reich n’a plus d’industrie.

Après la Ruhr

Les Alliés n’ont jamais cherché à battre les Soviétiques dans la course à Berlin. Pourtant, la Ruhr prise, c’était le dernier objectif possible, politique cette fois. Cette décision, prise très tardivement par Eisenhower, a fait couler beaucoup d’encre. Un éventuel « réduit alpin » (condamné d’avance, mais avec les nazis on ne sait jamais) n’aurait pas mobilisé beaucoup de troupes. Les coûts et l’impact sur l’après-guerre étaient des décisions politiques, pas militaires.

Après bien des explications vient la théorie des auteurs : Eisenhower a décidé pour une fois d’affirmer son autorité, a favorisé l’armée de son ami et compatriote Bradley, et ne voulait pas que Montgomery entre à Berlin (les troupes britanniques étaient les mieux placées pour cela). Roosevelt mourant, c’est une période de flottement, et Churchill ne peut changer faire changer d’avis Marshall, seul supérieur d’Eisenhower.

Les Anglo-Canadiens se sont donc contentés de foncer sur la Baltique pour barrer l’accès au Danemark aux Soviétiques. Les Américains ont poussé jusqu’à Leipzig. Au passage ils découvrent les camps de concentration, ce qui ôtera ensuite à certains leurs scrupules à bombarder des villes (Erfurt).

La résistance allemande subsiste ponctuellement, désorganisée, mais l’organisation étatique nazie ne s’effondre jamais. Il faudra attendre la mort d’Hitler pour que Dönitz signe la capitulation. Les détails précis de l’agonie de l’Allemagne ne sont pas le sujet ici -- là-dessus j’avais déjà chroniqué l’excellent The End de Kershaw.

Conclusion

Dans cette histoire m’ont frappé les dissensions entre généraux des trois nationalités, leurs mesquineries dignes de cours d’école. Celles-ci n’ont cependant pas eu d’effet sur les opérations. Bref, les Allemands n’avaient aucune chance contre le rouleau compresseur anglo-américain, très bien huilé techniquement, que la logistique n’a plus bridé en 1945.