dimanche 20 octobre 2024

« Memoirs of the Second World War » de Winston Churchill

History will be kind to me. For I intend to write it.

Winston Churchill

En fait, selon Wikiquote, il aurait dit aux Commons en 1948 :

For my part, I consider that it will be found much better by all Parties to leave the past to history, especially as I propose to write that history myself.

Memoirs of The Second World War (Abridgment), Winston Churchill Ce billet a trop longtemps attendu dans mes brouillons, donc je me contenterai de noter quelques points qui m’ont marqué.

Que l’on aime ou pas le grand homme, il est évidemment un témoin de premier plan de la Seconde Guerre Mondiale, puisqu’un des acteurs principaux, sans doute celui qui influe le plus sur les événements après Hitler. Ses mémoires de guerre, dès 1948, donnent très vite, de fait, une première version quasi-officielle des événements. Accessoirement, elles contribuent à lui valoir le Nobel de Littérature 1953 (il aurait préféré celui de la Paix, paraît-il).

Je n’ai lu que la version abrégée en un tome de 1000 pages (au lieu de 6 tomes). Si j’ai bien compris, manquent surtout les détails purement militaires (et souvent rédigés par des collaborateurs, parfois rien moins que Mountbatten himself).

C’est passionnant pour un fan d’histoire, militaire ou pas. Il n’y a pas à interpréter, c’est l’homme d’État qui dévoile directement ses pensées et explique ses choix. Un livre entier (In Command of History de David Reynolds) dissèque ces mémoires, et (là je reprends une critique récente de Guerre & Histoire) les dépeint comme à peu près fiable. Certes, le lecteur doit rester tout le long sur ses gardes. Dans quelle mesure Churchill réécrit-il l’histoire à son avantage ? Où se donne-t-il le beau rôle ? Quand règle-t-il ses comptes ? Que se sent-il obligé de taire ? On sait par exemple qu’Ultra est resté classifié pendant des décennies après la guerre. Que tait-il pour ne pas insulter l’avenir, pour sa carrière politique, qui continue, ou les relations diplomatiques de son pays ? Pourquoi ne parle-t-il pas de la famine de 1943 au Bengale (voir aussi ceci) ? Toute sa génération était furieusement colonialiste, mais tout de même. Et l’extermination des Juifs ?

Parmi les réponses : ses priorités sont la défense du Royaume-Uni au milieu d’un océan de contraintes et de dangers, les affaires militaires, les ressources, la diplomatie, et il ne pouvait pas tout ni n’avait notre recul. Mais Churchill sait parfaitement que sa version des événements pèsera lourdement sur la version « officielle ». Notons qu’il n’hésite pas à distribuer des fleurs à beaucoup de gens, militaires ou politiques. Gommer les dissensions avec les Américains relève aussi de la simple politique d’après-guerre.

Certains points de vues vont décevoir le lecteur français. De Gaulle n’a droit qu’à quelques pages, presque autant que Darlan. Le rôle de l’Empire français n’était pas au centre des préoccupations de Churchill. Il faisait par contre une fixation sur la flotte française bloquée à Toulon. L’attaque de Mers el-Kébir est comparée à une tragédie grecque : la survie de l’Empire Britannique était en jeu, la flotte française ne devait pas tomber dans les mains des Allemands. Il y a quelques passages assassins sur Darlan, qui en 1940 garantit que la flotte ne sera jamais livrée aux Allemands, et qui change d’attitude dès qu’il obtient un ministère à Vichy. La flotte se saborde bien en 1942, mais Darlan ne montre pas spécialement d’enthousiasme quand les Anglo-Saxons débarquent au Maghreb sous ses yeux. Mais paix à son âme (il a été assassiné, ce qui a simplifié la politique français).

Churchill décrit le moment où il apprend l’attaque de Pearl Harbor, puis admet que ça a été une de ses plus grandes joies d’avoir enfin les Américains à ses côtés, après tant de catastrophes : la guerre allait être gagnée, d’une manière ou d’une autre.

La disponibilité des moyens de débarquement (Landing Ships, Tanks) revient souvent comme le facteur limitant d’offensives. Les débarquements de Provence et Normandie sont prévus comme simultanés, mais il n’y a pas assez de navires et barges ; lesquels doivent être économisés pour ne pas mettre en danger Overlord.

D’un autre côté, on s’aperçoit que le plan de bataille entre-temps n’était pas clair. Que faire le temps que l’armée américaine monte en puissance ? Il faut soulager les Russes autrement qu’en bombardant l’Allemagne. Libérer la Norvège, ou l’Afrique du Nord ? Quand doit-on attaquer directement en France ? C’est 1944 au lieu de 1943… Que fait-on après avoir pris la Sicile ? Churchill aime les stratégies périphériques, et il prône une attaque au travers de la Slovénie, direction Vienne. Et vers Rhodes, ce qui pouvait influer sur l’entrée en guerre de la Turquie (trop faible, seule, contre les Bulgares) tout en facilitant les liaisons vers l’URSS. Mais plus la guerre avance, plus les décisions sont dominées par les Américains, moins subtils.

Churchill parle de ses voyages autour du monde. L’un des premiers vers les États-Unis se déroule sur un croiseur bien escorté. Pour un autre en 1942 vers Moscou, c’est dans un coucou sans confort, via Gibraltar, le Caire et Téhéran, en contournant l’Afrique du Nord française ou occupée (!). Dans le même avion, direction Casablanca en 1943, un chauffage a bien failli mettre le feu à l’avion. On imagine les conséquences. Mais Churchill a toujours eu la baraka.

Les pages sur Staline sont cruelles. Le dirigeant soviétique passe son temps à réclamer des ressources, de l’aide, un second front, à se plaindre de porter tout le poids de l’armée nazi. Churchill rappelle que les Soviétiques n’étaient pas là pour l’Angleterre en 1940 ou 1941, ils étaient même au mieux avec l’Allemagne — et Staline n’a jamais voulu croire à une attaque avant qu’il soit trop tard. Staline ne comprend pas (ne veut pas comprendre ?) la prudence et la planification pluriannuelle des Alliés, l’impossibilité d’ouvrir immédiatement un second front en France. Le passage sur l’écrasement de l’insurrection de Varsovie, peu avant l’arrivée soviétique, est pénible à lire : Staline refuse d’aider les Polonais, et n’autorise même pas les Anglo-Saxons à se poser en zone soviétique après avoir largué des armes aux insurgés… Que la résistance polonaise anticommuniste disparaisse l’arrange bien.

L’arrivée de Molotov et de la délégation soviétique à Londres verse dans le tragi-comique, les envoyés se comportant de manière totalement paranoïaque. Dans le même registre : le nombre de marins britanniques en Russie du Nord pour les convois d’aide à l’URSS est sévèrement restreint, les soldats n’ont même pas de visa !

Les passages sur les conférences internationales figurent parmi les plus intéressantes. Là se joue le futur de l’Europe, et les options écartées donnent du grain à moudre aux amateurs d’uchronie. Churchill rêve un moment de recréer un équivalent de l’Empire austro-hongrois, prémisse d’une « Europe Unie » libre et paisible.

Churchill manie brillamment l’humour et l’understatement, mais le thème ne s’y prête pas. Il y a quelques vacheries, sur Staline notamment, et une note d’humour involontaire, surtout pour un lecteur moderne : entre deux négociations sur le sort du monde, Churchill découvre son premier mitigeur à Moscou dans le luxueux appartement qu’a mis Staline à sa disposition.

Bref, un lourd pavé instructif.

À lire sur ce livre :

PS : marrant, je finis ce billet, et j’écoute un podcast où Daniel Schneiderman en conseille la lecture.

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